LATITUDES

L’humour involontaire des nouveaux trappeurs

Ils ont reçu des raquettes pour Noël. Ils partent au grand air et sortent des sentiers battus… en suivant les pistes balisées. Succès commercial d’un beau paradoxe.

La neige, le vent, le froid… Vous vous sentez l’âme d’un trappeur? Ça tombe bien car cet hiver, toute station qui se respecte propose à ses hôtes des kilomètres de «sentiers raquettes». Traduction: du hors piste, mais balisé. Un paradoxe nullement dissuasif puisque la formule marche.

Les raquettes étaient parmi les cadeaux les plus populaires du dernier Noël. Le moment est donc venu pour leurs heureux propriétaires de les inaugurer, ce qui provoque des scènes assez cocasses dans les stations.

Ainsi ce groupe de quadragénaires étrennant leur nouveau matériel dans la région de Sainte-Croix sur un chemin de neige damée et qui s’étonne de se voir dépasser par un groupe de marcheurs du troisième âge, bien moins essoufflés qu’eux.

A Davos, on a vu des skieurs de fond pester contre ces nouveaux venus qui n’hésitent pas à débarquer sur leurs pistes. On n’en est heureusement pas encore venu aux mains — comme ce fut le cas récemment entre snow-boardeurs et skieurs — mais la tension monte.

A Grindewald, c’est sur des pâturages sans neige qu’ont été observés de curieux bipèdes aux grands pieds.

Les ventes de raquettes continuent cette saison encore leur progression, «mais elles vont se tasser d’ici deux à trois ans, estime Georges Sanga, du magasin de sport Yosemite, à Lausanne. Je donne au maximum cinq ans encore à ce phénomène de mode. Ensuite, seuls les véritables amoureux de la montagnes poursuivront.»

Pour l’heure, fabricants, marchands de sport et stations surfent sur le succès populaire de la raquette. Employée de l’Office du tourisme de Verbier, Rita conseille aux raquetteurs de rester sur les sentiers pour des raisons de sécurité, «mais ceux qui éprouvent le besoin de s’en évader ne seront pas pénalisés», précise-t-elle.

En Haute Engadine, en revanche, il pourra vous en coûter jusqu’à 400 francs si vous vous déplacez en raquette dans ces merveilleuses forêts. Le lobby des chasseurs, particulièrement puissant, est parvenu à reléguer les émules de Davy Crockett dans des secteurs restreints. Un peu partout d’ailleurs, il devient difficile de fouler de la neige vierge sans passer immédiatement pour un ennemi de la faune ou un inconscient des dangers de la montagne.

C’est que les nouveaux trappeurs sont arrivés en même temps que les balisages, et n’ont pas connu l’époque bénie des virées sauvages. Les happy few qui l’ont vécue portent aujourd’hui un regard amusé sur ces parcours bleu, rouge ou noir, perçus comme castrateurs de leurs fantasmes de liberté. Patients, ils attentent le passage des caravanes, intimement convaincus que le phénomène ne durera pas.

Chez TSL, la grande marque française de raquettes qui balise bon nombre de sentiers, on pense avoir trouvé les mots pour satisfaire les aspirations de «nouveaux trappeurs»: on assure un «plaisir sécurisé», on garantit «des déplacements certifiés par des professionnels afin d’échapper au caractère imprévisible de notre chère montagne.»

La formule qui consiste à répondre à une soif de liberté par des offres kilométrées, minutées et graduées se prolongera-t-elle longtemps encore?

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Pour ceux qui recherchent une autre forme d’évasion tranquille, les film «Le dernier trappeur», premier long métrage de l’explorateur français Nicolas Vanier, est sur les écrans romands.