LATITUDES

John Kerry et la photo du mensonge

Un trucage montrant le candidat démocrate aux côtés de Jane Fonda agite la presse anglo-saxonne. Au même moment, une excellente exposition bernoise tente de démêler le vrai du faux dans la photographie.

Une photo visant à discréditer John Kerry a circulé sur plusieurs sites américains. On y voit le candidat démocrate aux côtés Jane Fonda, actrice et militante considérée comme infréquentable par une partie de l’opinion américaine. Le but était évidemment de faire passer John Kerry pour un dangereux pacifiste. Or il est vite apparu que cette photo était un faux mélangeant deux clichés: le portrait du candidat à la présidentielle datait de 1970 et celui de Jane Fonda de 1972.

Alors que cette affaire alimente les médias anglo-saxons, les dérives déontologiques liées à l’image sont dénoncées en France par l’Observatoire des médias .

Est-il pour autant pertinent de poser la question en terme de vérité? C’est ce que se demande Clément Cheroux du Centre photographique de l’Ile de France. Pour lui, la photographie est un système de représentation qui transpose la réalité à travers une série de filtres successifs: filtre du producteur, du diffuseur et du récepteur. C’est à travers ces trois filtres que doit être abordée, selon Clément Cheroux, la question du rapport de la photographie à la réalité.

L’exposition «True Lies» (Lügen und andere Wahrheiten in der zeitgenössischen Fotographie) propose une approche différente encore. Elle est à découvrir, jusqu’au 28 mars, dans le musée Franz Gertsch, inauguré en 2002 à Berthoud.

Le catalogue de l’expo nous rappelle que depuis son invention il y a plus de 150 ans, «la photographie a toujours été considérée comme garante de la représentation par excellence». Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1980 que la croyance en la vérité de la photographie a été pour la première fois sérieusement ébranlée, pour s’effondrer totalement dans les années 90 avec la révolution digitale dans la production et dans le traitement des images.

Depuis, la photo a conquis des champs totalement nouveaux. Elle n’est plus perçue dans sa seule dimension «reproductrice» mais, à l’instar de la peinture, également comme un médium capable de produire sa propre réalité. Cependant, contrairement à la peinture, l’image photographique ne porte plus en elle son procédé de fabrication. On ne peut plus savoir si l’image a reproduit la réalité ou si elle a été créée de toutes pièces.

Treize artistes, autant de démarches «mensongères», sont présentés dans l’exposition, questionnant notre perception de la vérité et de la réalité de différentes manières. Les stratégies du mensonge artistique sont très variées.

Les mensonges sont propagés par des biais divers; racontant des histoires fausses (Sophie Calle, Yann Toma), plaçant de vraies histoires dans un faux contexte (Slawomir Elsner), créant de la réalité dans l’ordinateur (Wolfgang Ellenrieder), présentant un modèle à petite échelle (Lois Renner) ou à l’échelle réelle, mais au mauvais endroit (Maurizio Cattelan).

A elles seules, les trois photos de la série «The Innocents» de Taryn Simon valent le déplacement. Elles nous plongent dans un climat menaçant, à la David Lynch. Ce sont des situations où les mensonges se transforment en réalité pour les personnages tragiquement concernés: des condamnés à mort innocents. On y saisit le rôle joué par les photographes dans la relation entre vérité et mensonge, jugement et préjugé.

A l’heure où les outils informatiques permettent à n’importe qui de truquer une photo de manière quasiment indécelable (l’auteur du montage Kerry-Fonda n’a toujours pas été identifié), l’exposition du Musée Franz Gertsch pose les bonnes questions: elle montre que le rapport entre vérité et mensonge est bien plus complexe qu’un simple photomontage.