Illumination des bâtiments publics, éclairages routiers omniprésents… Notre engouement pour la lumière a des effets désastreux sur les lucioles. Heureusement, des artistes comme Turrell et Eliasson savent encore nous éblouir.
Est-il vraiment indispensable d’illuminer le moindre bâtiment public? C’est la question que je me pose en observant de ma fenêtre les tentatives d’éclairage d’un clocher sans charme. Dans la localité d’à côté, c’est un pavillon, lui aussi tout ce qu’il y a de plus banal, qui dès la nuit tombée devient la cible de puissants lasers.
Il n’y aura bientôt plus un misérable pan de mur ancien, plus une statue ou une quelconque tourelle qui ne jouira d’une illumination nocturne.
A cette veine nostalgique s’ajoute l’hystérie sécuritaire ambiante qui transforme l’éclairage public en enjeu électoral. Résultat: une prolifération anarchique d’éclairages urbains et routiers.
L’obscurité va-t-elle disparaître de la planète Terre? Des astronomes s’inquiètent de cette pollution lumineuse et rappellent qu’en 1992, l’Unesco avait déclaré le ciel nocturne «patrimoine universel de l’humanité», donc à protéger.
Rien n’a vraiment été entrepris depuis. Les papillons nocturnes et chauve-souris sont aujourd’hui menacés. Et je viens d’apprendre que les lucioles aussi, qui ont un mode de communication mâle-femelle basé sur la lumière: l`omniprésence de l’éclairage artificiel annihile leurs possibilités de rencontre entre partenaires.
Mortelle pour ces pauvres petites bêtes, la lumière s’avère bénéfique pour les êtres humains. Elle entraîne avec elle tous nos rythmes biologiques par son effet sur l’hypothalamus, d’où le recours à la luminothérapie pour soigner nos déprimes.
La lumière est également bénéfique à de nombreux urbanistes, architectes et artistes qui semblent avoir trouvé en elle une nouvelle source d’inspiration. De Shanghai au quartier du Flon à Lausanne, en passant par Lille ou le canton de Zoug, on en trouve d’éblouissantes démonstrations.
«Mes œuvres sont de la nourriture pour l’âme», estime l’artiste américain James Turrell, auteur de «Light Transport» qu’on peut admirer dans la toute nouvelle la gare de Zoug.
Chaque jour dès 17 heures, Astrid Zürcher, qui travaille à l’Office du tourisme situé au rez-de-chaussée de la gare, se nourrit de l’atmosphère créée par cette installation. Le visage de la jeune femme s’illumine alors qu’elle tente de me décrire la magie qui émane de l’œuvre inaugurée en novembre dernier. Convaincant.
En ce moment, les Romands sont certainement plus nombreux à se rendre à la Tate Modern de Londres pour y voir briller l’immense soleil d’Olafur Eliasson qu’à s’accorder un petit voyage en Suisse orientale. Dommage! Un détour par le Kunsthaus du paradis fiscal, qui expose jusqu’au 29 février l’œuvre de Turrell, ne les décevrait pas. Ils y retrouveraient d’ailleurs Eliasson et son projet «The Body as Brain», présenté ici presque confidentiellement.
«Dans mon travail, il n’existe pas d’objet. L’objectif, c’est la perception de la lumière. La perception est l’objet», précise l’artiste, qui parvient à déstabiliser nos relations au réel.
Au sortir de l’expo, un constat s’impose: notre perception de la lumière est finalement très primaire, et proche de la fascination qu’un animal éprouve quand il se précipite sur les phares d’une voiture.
Une grande place est réservée à Turrell dans «Lux, le monde en lumière», le magnifique livre illustré par les photos de Jean-Marc Charles qui, depuis dix ans, explore la planète lumière et témoigne de son embrasement artistique. La nuit arrive et le monde réapparaît, transfiguré. La «révolution de la lumière» est en cours.