Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur l’usage des termes «sobrelier», «GOAT» et «transition».
Sobrelier et «dry-tripping»
Mot-valise formé de «sobriété» et de «sommelier», sobrelier désigne le nouveau métier exercé par un expert en boissons sans alcool. Des breuvages de plus en plus prisés, au-delà du «dry January», avec l’arrivée de la tendance «dry-tripping» et une meilleure acceptation sociale des abstinents et des buveurs occasionnels.
Le néologisme «dry-tripping», «voyage à sec» en français, désigne le renoncement à l’alcool durant les vacances. Déjà pratiqué par de nombreux jeunes américains de la génération Z, ce comportement a conduit compagnies aériennes et chaînes d’hôtels à enrichir leurs offres de boissons sans alcool. Le phénomène est attendu chez nous.
Qui pour conseiller cette nouvelle clientèle parmi les «sobreuvages»? Un sobrelier. Ex-sommelier parisien, Benoît d’Onofrio a forgé ce néologisme en opérant, en pionnier, une reconversion vers cette profession. Les écoles hôtelières adapteront-elles prochainement l’éventail de leurs formations à cette évolution?
GOAT
En désignant Roger Federer comme le GOAT, la championne de ski Lindsey Vonn a popularisé un terme bien connu jusqu’ici des seuls fans de sport. Cet acronyme anglais de «Greatest Of All Time», soit «le meilleur de tous les temps», souvent remplacé par un emoji de chèvre ou de bouc (goat signifie chèvre ou bouc en anglais), alimente moult débats. Qui est le G.O.A.T., GOAT, ou goat, en foot? Pelé, Maradona, Ronaldo ou Messi? Et en ski? En basket ou en natation? Sur les réseaux sociaux, on assiste depuis des années déjà à des manifestations d’adulations des uns et de dénigrements des autres pour établir une hiérarchie fondée sur des performances de toute évidence incomparables. Ce petit jeu gagne du terrain et touche aujourd’hui bien d’autres domaines. Quand «goatesque» rime avec grotesque!
Pour découvrir l’origine de GOAT, il faut remonter à Muhammad Ali et son affrontement contre Sonny Listen, en 1964, au terme duquel il s’exclama «I am the greatest». En 1974, il ajouta «I am the greatest of all time» après son combat victorieux contre George Foreman. Cinquante ans plus tard, l’autoproclamation du boxeur est reprise tous azimuts. Avec plus ou moins d’autodérision. Exemple: la pochette de «Pièces montées», le dernier album du rappeur français Dany Dan.
Transition
Et si la transition énergétique, dont on se gargarise, empêchait de penser convenablement le défi climatique? Cette notion floue appartient au discours rassurant, mais elle est source de fausses promesses. Des arguments bien étayés et illustrés parviennent à de telles conclusions dans le livre «Sans transition: Une nouvelle histoire de l’énergie» (éd. Seuil). Pour son auteur, Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, des techniques et de l’environnement, ce concept est un leurre: «Rien de plus consensuel que la transition énergétique, rien de plus urgent que de ne pas y croire.»
Jean-Baptiste Fressoz pose un regard critique sur les historiens de l’énergie qui évoquent bien une suite de transitions de systèmes énergétiques (âge du bois, de l’hydraulique, du charbon, de la vapeur, du gaz, du pétrole, de l’électricité, du nucléaire ou du solaire et de l’éolien) mais qui éludent la dynamique fondamentale, soit l’accumulation et la symbiose, et non la substitution des énergies. «Les énergies et les matières sont en expansion symbiotiques: non seulement elles s’accumulent, mais elles sont en interdépendance», corrige-t-il.
Bien qu’inadéquat, le discours de la transition est porteur politiquement parce que permettant d’éviter le très gênant questionnement de nos modes de vie. Il a encore de beaux jours devant lui, déplore l’historien: «La puissance de séduction de la transition est immense: nous avons tous besoin de basculements futurs pour justifier la procrastination présente.»