Véritables appuis pour suivre une maladie ou rester en forme, les applications de santé rencontrent un franc succès. Elles apportent souvent une aide motivationnelle importante. Encore faut-il interpréter correctement leurs données.
Lorsque Sophie*, atteinte de diabète, constatait que sa glycémie se trouvait juste au-dessous de sa valeur idéale avant d’aller se coucher, la jeune femme préférait systématiquement manger encore un peu, par précaution. Le but ? Faire remonter son taux de sucre dans le sang afin de prévenir tout risque d’hypoglycémie – qui peut provoquer un coma ou des convulsions – durant la nuit. Mais depuis que la jeune maman utilise AndroidAPS, ce rituel n’a plus lieu d’être. L’application, comme FreeStyle Link et GluciCheck, permet en effet un suivi connecté du diabète.
« Mon diabète s’est déclaré au cours de ma grossesse. Les injections au stylo impliquaient de calculer constamment la dose d’insuline à s’administrer et représentaient une immense contrainte – également matérielle –, surtout avec un bébé. J’ai donc vite opté pour une pompe à insuline, que je peux désormais connecter à un capteur collé à mon bras via AndroidAPS. L’application calcule elle-même la dose à injecter et permet, dans une certaine mesure, d’envoyer ou de couper l’insuline sans que j’aie à faire quoi que ce soit. » Grâce aux différentes applications qu’elle utilise au quotidien, la jeune femme a vu son état de santé global s’améliorer : sa glycémie – notamment à jeun – reste plus facilement dans la norme et sa charge mentale a drastiquement diminué.
Les applications de santé constituent une véritable aide, par exemple dans la prise de médicaments, pour les personnes atteintes de cancer, de pathologies cardiaques ou de douleurs chroniques, indiquait en 2021 une étude du Journal of Medical Internet Research. Outre les applications dites médicales, les applications non médicales, de sport, fitness ou bien-être connaissent un succès fulgurant depuis quelques années, renforcé durant la pandémie. Un rapport publié dans le State of Mobile 2022 indiquait une augmentation de plus de 25% des téléchargements entre 2019 et 2021. Home Workout, No Equipment et Mi Fit, disponibles sur bracelet connecté ou smartphone, constituaient par ailleurs le trio de tête des applications les plus téléchargées au monde en 2020.
Interpréter ses données
Qu’ils soient professionnels ou amateurs, de plus en plus de sportifs osent évoquer l’utilisation d’applications de santé dans le cadre d’une consultation. Responsable du Centre de médecine du sport au CHUV, Vincent Gremeaux encourage cette attitude : « Bien que les applications ne remplacent pas un suivi médical et ne peuvent pas convenir à tous les types de personnes, elles constituent un outil d’échange supplémentaire entre le médecin et le patient. Afin d’éviter des dérives telles qu’un programme inadapté pour une personne qui souhaite reprendre le sport après une longue période d’inactivité ou un surentraînement pour un athlète, le médecin peut guider le patient dans le choix d’un outil qui convienne à sa situation. »
L’interprétation des résultats obtenus ainsi qu’un regard critique représentent un enjeu fondamental afin de garantir une utilisation saine des applications. Médecinchef au sein du Service de cardiologie du CHUV, Aaron Baggish aide régulièrement ses patient·e·s à comprendre ce que signifient leurs données. « Les applications livrent parfois des informations inexactes. Certains outils de mesure de la tension artérielle peuvent par exemple indiquer une augmentation ou diminution anormale du rythme cardiaque durant un exercice physique. Or, il s’agit souvent d’une faille du système. Il est donc très important de distinguer ce qui relève d’un réel problème de santé de ce qui ne l’est pas, et de s’adresser à son médecin pour lever le doute. »
Qualité difficile à évaluer
La fiabilité et l’efficacité de la majorité des applications de santé ne sont aujourd’hui pas avérées cliniquement ou scientifiquement. Sur 68 applications analysées, plus de deux tiers n’avaient pas été soumises à des études cliniques avant d’être commercialisées, indique un rapport publié sur le site « Science et Avenir ». Afin de répondre à cette problématique, le Centre de compétences et de coordination de la Confédération et des cantons « eHealth Suisse » a établi, en 2019, un catalogue de neuf critères afin d’aider professionnel·le·s de santé et patient·e·s à identifier les applications pertinentes en fonction de leurs besoins. « Cela reste toutefois difficile à évaluer, en particulier en raison du renouvellement important de ces applications. Il faudrait réfléchir à une solution plus globale à l’avenir », souligne Vincent Gremeaux. Beaucoup de médecins ne savent pas comment intégrer ces outils à leur pratique. « Mon souhait serait de développer un programme afin d’accompagner les médecins dans l’utilisation de ces données », précise Aaron Baggish.
Une absence d’études cliniques ne rime néanmoins pas toujours avec inefficacité. « Les applications peuvent constituer une aide motivationnelle extraordinaire, et encourager le ou la patient·e à atteindre ses objectifs, souligne le spécialiste. Il n’y a rien de tel que de visualiser sa progression sur un histogramme. Le fait qu’une application ait été créée par un professionnel des sciences du sport ou un médecin et qu’elle intègre un aspect pédagogique peut aussi constituer des critères de qualité. » Aaron Baggish conseille aussi de définir des buts clairs et spécifiques, qu’il s’agit ensuite de « traduire » dans l’application. « Marcher 2h30 à un rythme soutenu ou modéré ne correspond pas au même effort. Cela doit donc être retranscrit au moment d’indiquer ses objectifs. »
Télécharger en conscience
« Afin de garantir une certaine sécurité, j’ai installé l’application sur un deuxième téléphone, que je laisse la plupart du temps en mode avion, précise Sophie. Il m’est arrivé d’avoir peur que mon application soit piratée et que l’on puisse m’injecter de l’insuline à distance, par exemple. » Pour Olivier Crochat, directeur exécutif du Center for Digital Trust de l’EPFL, le piratage des données de fitness ou de santé représente pour l’instant un faible intérêt pour les cybercriminels. « Il est difficile de concevoir comment faire du chantage à partir du nombre de pas que vous effectuez par jour, par exemple. Le risque de profilage est bien plus important. »
Afin de garantir sa cybersécurité, le spécialiste en confiance numérique conseille donc de privilégier les applications développées par une société locale. Bien que la Suisse et l’Europe disposent d’une législation forte en matière de protection des données, Olivier Crochat souligne néanmoins le caractère ambivalent des métadonnées. « De plus en plus d’employeurs encouragent le téléchargement d’applications de bien-être ou de fitness. Or, même si l’employé décide de ne pas partager ces données, le simple fait de se connecter régulièrement à une application contre la dépression, par exemple, donne déjà de précieuses informations à son sujet. »
Certaines assurances comme Helsana ou CSS utilisent des applications développées par une société allemande dans le but de récompenser les assuré·e·s qui privilégient un mode de vie sain et d’améliorer la prévention. « La question consiste à savoir où est le curseur entre une incitation bienveillante et une manière de filtrer les assuré·e·s afin de pénaliser ceux ou celles qui se retrouveraient dans la catégorie des mauvais élèves », résume l’expert.
* Prénom d’emprunt
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Une opportunité pour la recherche scientifique
Dans le domaine de la science du sport, les données collectées par les applications de santé représentent des ressources très intéressantes pour le développement de nouvelles connaissances médicales. Car les recherches réalisées jusqu’à présent ne permettaient pas de recréer les conditions exactes vécues par les sportifs. « Recueillies sur de larges groupes d’individus, de telles données constituent une occasion d’affiner notre compréhension du rapport entre le niveau d’activité et l’état de santé d’une personne, explique le cardiologue Aaron Baggish. Le but étant d’améliorer la prise en charge médicale en la rendant toujours plus personnalisée. »
La validité scientifique des données utilisées pour la recherche doit toutefois être garantie. À titre d’exemple, le bracelet tensiomètre de la start-up neuchâteloise Aktiia – dont la technologie a été développée par le Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM) – a vu sa précision démontrée dans le cadre d’essais cliniques au sein du CHUV notamment. « Jusqu’ici, il n’y avait pas vraiment d’applications capables de mesurer quotidiennement la pression artérielle de manière satisfaisante, résume Aaron Baggish. Ce bracelet est donc très prometteur car ces données sont exemptes de biais relatifs au contexte hospitalier ou clinique. Les médecins pourront donc prescrire des médicaments ou conseiller d’éventuels changements de modes de vie avec d’autant plus d’exactitude. »
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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 28).
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