Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur l’usage des termes «typoglycémie», «éco-acoustique» et «Homo confort».
Typoglycémie
L’écriture épicène bouscule la lecture avec ses points médians, suffixes, pronoms bizarres, ajouts de «x» et «z», sans compter l’usage de nouveaux glyphes. «Elle ralentit la lecture et génère de la fatigue», selon ses détracteur.se.s. «Simple question d’habitude», rétorquent ses défenseur.e.s. Ainsi Catherine Frammery, auteure de «Mrioir, Miorr» (coll. Manifeste 4, HEAD, 2022) qui fait confiance en notre capacité d’apprentissage et d’adaptation. Pour nous en convaincre, elle cite l’exemple de la typoglycémie.
Qu’est-ce que la typoglycémie? Ce terme évoque la faculté du cerveau humain à lire sans problème un mot dont les lettres sont mélangées, à condition que la première et la dernière lettre demeurent à leur place. Vérifiez plutôt: l’odrre des ltteers dans un mto n’a pas d’ipmrotnace à la cnotiiodn que la prreèmie et la direènre ltteer dneemueret à leur pclae. La première étude de ce phénomène daterait d’un travail publié en 1976 par Graham Rawlinson à l’Université de Nottingham. La construction du terme typoglycémie renvoie à un jeu de mot avec hypoglycémie qui correspond à un taux de glucose trop bas dans le sang.
L’orthographe simplifiée bénéficiera-t-elle aussi d’une lecture globale des mots? On a tous fait l’expérience de ne pas recenser les coquilles et fautes d’orthographe lors de la lecture d’un texte, mais de les corriger par automatisme. Dès lors, il se peut que le «i» d’oignon et les accents et traits d’union supprimés réapparaissent virtuellement dans le cerveau de ses opposants! Dès lors, expérience faite, l’actuel débat relatif aux divers bouleversements d’écriture va probablement s’apaiser grâce à nos adaptations cérébrales insoupçonnées.
Éco-acoustique
L’interruption partielle des activités humaines lors du confinement a sensiblement modifié notre paysage sonore en révélant les sons de la nature. Chacun s’accordait à dire que les oiseaux étaient plus nombreux et chantaient plus fort ou que les grenouilles se livraient à des «rave-parties». L’occasion de tendre l’oreille aux travaux de ceux qui, depuis des décennies, enregistrent cigales, baleines, dunes et glaciers. Les éco-acousticiens sont alors sortis de l’ombre et suscitent depuis un intérêt grandissant pour leur discipline, l’éco-acoustique ou bioacoustique.
Son origine remonterait à 1967 avec, pour fondateur Bernie Krause, le musicien et ingénieur du son qui a travaillé notamment pour les Doors, Peter Gabriel et Brian Eno. Les éco-acousticiens captent les entrelacs sonores émergeant d’un paysage naturel pour en extraire des informations permettant de mieux comprendre et éventuellement de protéger la biodiversité. Parmi eux, Jérôme Sueur qui vient de publier «Le Son de la Terre» (éd. Acte Sud, 2022). Une invitation à ouvrir nos oreilles pour découvrir les paysages sonores de notre planète où changement climatique rime avec changement acoustique. Des textes brefs complétés par de multiples QR codes suscitent l’envie de les dénicher in situ et de pratiquer l’éco-acoustique en amateur.
Le message de l’auteur: «Nos bruits ont un effet désastreux sur la santé humaine, animale et les écosystèmes. Il est grand temps de reconnaitre le bruit non pas comme une simple gêne, mais comme une pollution au même titre que les pollutions chimiques et lumineuses.»
Homo confort
Le confort est un élément déterminant mais néanmoins négligé pour comprendre l’évolution de l’humanité au cours des dernières décennies. Dans «Homo confort» (éd. L’Echappée, 2022), Stephano Boni vient combler cette lacune et analyse le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes. L’aspiration permanente au confort a donné naissance à l’Homo confort dont la singularité réside dans sa capacité à déléguer à la technologie toutes sortes de tâches fatigantes ou contraignantes.
A première vue bienfaisant, le confort serait au contraire maléfique, nuisible pour la nature et les humains et pas soutenable à moyen terme. Nous en payons aujourd’hui déjà le prix estime l’anthropologue italien qui appelle à sa reconsidération.
Paru en italien en 2019, l’ouvrage a suscité de violents rejets. L’auteur ne s’en étonne pas. Nous sommes pour la plupart des représentants d’Homo confort et éprouvons un attachement viscéral à notre confort. D’où son avertissement: «La lecture de cet ouvrage requiert par conséquent une prédisposition à l’autocritique alors que rares sont ceux qui sont enclin à remettre en question leur mode de vie en l’absence de solution simple pour résoudre les problèmes qui nous font face.»
Les répercussions de la guerre en Ukraine vont mettre fin à la procrastination de cette remise en question. Un appartement à 18 degrés cet hiver, quel inconfort!