KAPITAL

Plus vert, plus responsable: l’alterpreneur bouscule les codes

Ils mènent une activité à impact environnemental et social positif, utilisent de nouveaux modes d’organisation et affichent des objectifs autres que le seul profit. Rencontres de créateurs d’entreprises romands qui assument leurs idéaux.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans authentic cialis price.

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«Les titres des travaux de diplômes de nos étudiants ces dix dernières années montrent une évolution frappante: les notions de durabilité et de responsabilité sociale sont presque toujours présentes, remarque Rico Baldegger, directeur de la Haute école de gestion de Fribourg (HEG-FR). On sent une volonté de changement, et cette tendance est loin d’être marginale.» La Haute école vient d’ailleurs, début février, d’intégrer entre ses murs le Centre pour la responsabilité d’entreprise et la durabilité (CCRS), de l’Université de Zurich. «Nous devons maintenant sortir de cette dialectique qui place le business d’un côté et l’écologie de l’autre.»

Les néo-entrepreneurs ont changé leurs priorités, et le profit économique n’est plus la première. Le phénomène s’illustre dans le documentaire «Ruptures», sorti en octobre 2021 sur la plate-forme de vidéo à la demande Spicee. Son réalisateur, Arthur Gosset, 24 ans, y suit six jeunes diplômés de hautes écoles françaises, qui choisissent de tourner le dos à une carrière de cadre toute tracée pour faire quelque chose «qui a du sens»: engagement associatif, militantisme, entrepreneuriat. Et de montrer comment ils et elles se heurtent à une incompréhension notoire de leur entourage. «Cette problématique me tient à cœur car je suis moi-même passé par là, explique le réalisateur, récemment diplômé de l’école d’ingénieur Centrale Nantes. Ce pour quoi j’essaie de me battre, c’est que chacun puisse trouver sa place dans la société là où il se sente bien. Cette vision nécessite de déconstruire notre rapport à la réussite, à l’argent, à l’entreprise.» Plus largement, et à tous les âges, des hommes et des femmes cherchent à réinventer le monde de l’entreprise. En voici quatre exemples en Suisse romande.

Benoit Necseru, fondateur de ByKarl, 35 ans, Fribourg

Il y a quelques années encore, Benoit Necseru était employé d’une grande compagnie d’assurance. «J’avais envie de mettre du sens dans mon travail, de devenir entrepreneur en bousculant les habitudes du monde de l’entreprise.» Cycliste au quotidien, il imagine un service de réparation de vélos mobile, qui se déplace chez les clients au lieu que ceux-ci ne doivent se rendre dans un magasin de cycles, dans l’optique d’encourager la pratique du vélo en ville.

C’est grâce à un programme d’intrapreneuriat organisé par son ancienne entreprise que ByKarl prend forme. Après un an et demi d’accompagnement, Benoit Necseru se lance, en janvier 2020, avec deux associés. ByKarl se développe d’abord à Genève et Fribourg, puis à Lausanne et dans le Chablais sous forme de franchise. «Notre but n’est pas d’avoir des employés et de faire du business as usual, mais de créer une communauté d’entrepreneurs mécaniciens, avec des valeurs éthiques et écologiques fortes. Nous aidons les intéressés à créer leur entreprise, nous leur donnons des outils, des contacts.» En 2022, le concept sera déployé à Neuchâtel et dans la Riviera. Le but est d’investir également une ville alémanique cette année, et en 2023, de couvrir le reste du territoire national.

En 2021, ByKarl a réparé plus de 1200 vélos. Pour ce qui est de l’éthique et des valeurs, tout est formalisé dans le contrat de franchise: tri des déchets, revalorisation des pièces, protection de l’espace de travail, rémunération correcte des collaborateurs. «Il faut que ce soit gagnant pour tout le monde. On a vraiment envie de changer cette mentalité de monde de requins.»

Louisa Saratsiotis, fondatrice des Potions d’Adèle, 33 ans, Genève

Les Potions d’Adèle, ce sont des produits ménagers faits à partir d’ingrédients naturels et bio. Louisa Saratsiotis a commencé ses préparations il y a une dizaine d’années. Souffrant de problèmes de peau, elle a cherché des solutions aussi efficaces que naturelles et non nocives. La production s’accroît et dès 2018, elle commercialise ses produits par le biais d’épiceries éco-responsables et de marchés. En 2019, coup d’accélérateur: la Bourse cantonale du développement durable du Canton de Genève lui est octroyée. La somme reçue de 30’000 francs lui permet d’investir dans du matériel et de constituer un stock d’ingrédients. Mais au-delà, ce prix donne surtout une reconnaissance à son activité. «D’un coup, j’ai été prise au sérieux: avant, les gens achetaient mes produits avec une certaine retenue. Après cette récompense, ils sont revenus en disant, ‘en fait ça marche !’» Les Potions d’Adèle se trouvent aujourd’hui dans une trentaine de points de vente sur Genève et Vaud, et approvisionnent plusieurs crèches et écoles genevoises. Louisa Saratsiotis anime aussi des ateliers pour partager son savoir-faire «et permettre des choix en conscience» aux consommateurs.

Aujourd’hui, la jeune femme ne vit pas encore de son activité, mais n’en est pas loin. «J’ai choisi de faire de petites marges pour garantir l’accès de mes produits à un maximum de gens. Il faut donc beaucoup de clients, et cela prend du temps.» Sa lessive est par exemple vendue à 6,30 francs le litre au marché, contre environ 10 francs pour les lessives traditionnelles. Parce que pour elle, la clé est de ne pas travailler seule, Louisa Saratsiotis a rejoint la coopérative genevoise d’entrepreneurs salariés Neonomia, la seule du genre en Suisse romande. «On travaille en gouvernance partagée, c’est très instructif. Le fait d’être dans un cercle de personnes qui partagent les mêmes valeurs que moi est important, on se soutient.»

Xavier Ballansat, directeur pour la Suisse romande de Äss-Bar, 36 ans, Lausanne

Boulangerie d’un genre nouveau, la première enseigne d’Äss-Bar a ouvert à Zurich en 2013. Le concept? Vendre pains et viennoiseries de la veille à prix réduit, dans une optique de lutte contre le gaspillage alimentaire. A l’époque, Xavier Ballansat vit outre-Sarine et décide de déployer le concept en Suisse romande. «L’entrepreneuriat, c’est 5% d’innovation et 95% de transposition. L’idée de vendre du pain de la veille n’est pas difficile à trouver, mais la mettre en application avec les réalités d’un certain contexte local, l’est plus.» Une première enseigne ouvre à Fribourg en 2016, et une deuxième à Lausanne en 2019.

Dans une ville comme dans l’autre, l’entrepreneur n’a pas eu besoin de démarcher ardument des boulangeries partenaires. «C’est plutôt elles qui sont venues à nous, une fois que le bouche à oreille avait commencé à faire son œuvre.» Car Äss-Bar propose un vrai service professionnel sur le plan logistique, avec une tournée régulière visant à décharger les commerçants de leurs invendus, une tâche souvent complexe et chronophage. Les produits récupérés sont ensuite vendu dans une enseigne Äss-Bar.

Ce travail est mené par les 12 employés très investis, tout comme le sont celles et ceux qui se trouvent à la vente, car leur directeur leur octroie une grande marge de manœuvre notamment pour ce qui a trait à la prise de décision. «Nous cherchons à appliquer le principe de l’auto-responsabilisation. Les employés décident de beaucoup de choses, ce sont eux qui sont au front.» Les collaborateurs peuvent par exemple établir des collaborations avec des associations pour la récupération d’invendus, modifier la logistique de collecte ou décider de la hausse de prix de certains articles pour optimiser les ventes. «Ils prennent de nombreuses initiatives pour lesquelles je ne suis pas consulté et ça me réjouit: cela montre qu’ils s’approprient le concept et l’entreprise.»

Sofia de Meyer, fondatrice d’Opaline, 46 ans, Valais

Sofia de Meyer n’a pas commencé sa carrière dans l’entrepreneuriat mais par un stage dans un cabinet d’avocat suivi de sept ans dans le droit privé à l’international. Elle revient en Suisse en 2004, bien décidée à opérer une transition. Elle crée alors les Whitepods, des structures d’hébergement légères pour dormir près de la nature. Cinq ans plus tard, elle revend l’entreprise pour se lancer dans l’aventure Opaline: des jus de fruits majoritairement bio et suisses, avec l’ambition de couvrir le marché national. «Quand je gérais les Whitepods, je trouvais difficile de me fournir en jus de fruits locaux. J’ai commencé à préparer des jus dans ma cuisine, il me semblait important d’être connectée au terrain et de construire à partir de là.» Douze ans plus tard, les boissons Opaline sont disponibles dans plus de 1700 points de vente à travers la Suisse, ainsi que sur un e-shop qui permet la vente directe. Avant la pandémie, 1 million de bouteilles étaient vendues chaque année, puis les ventes ont diminué d’environ 7% en 2021, notamment à cause de la fermeture des restaurants pendant la crise sanitaire.