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A propos du mécano géant de Lucas Belvaux

Cette trilogie simultanée constitue une expérience de cinéma inédite. Le spectateur s’y sent à la fois acteur et détective (il y a des énigmes à résoudre). Mode d’emploi.

Doit-on forcément voir les trois longs métrages de Lucas Belvaux pour comprendre quelque chose? Non, bien sûr, puisque chaque film est autonome; chacun possède sa logique, sa dramaturgie, son climat.

«Un couple épatant», soit Ornella Muti et François Morel, fonctionne comme une comédie vaudevillesque, avec des dialogues aiguisés et des quiproquos en chaîne. «Cavale», avec Lucas Belvaux et Catherine Frot, avance comme un thriller politique ou un portrait de terroriste. Filmé caméra à l’épaule, «Après la vie», dominé par Dominique Blanc et Gilbert Melki, raconte un drame conjugal lié à la dépendance. Tous ont un début, un milieu et une fin.

Y a-t-il un ordre de visionnement à respecter? Le mieux est de former à partir des trois titres la phrase la plus simple: «Un couple épatant (1) cavale (2) après la vie (3)». Si on aime jouer au «Memory Spiel», que l’on accepte que certains éléments restent en suspens ou, au contraire, qu’ils soient révélés avant d’avoir été posés, on peut aussi opter pour «Après la vie un couple épatant cavale» ou «Cavale un couple épatant après la vie» ou encore «Cavale après la vie un couple épatant» etc.

Il n’y a pas de mode d’emploi strict. Lucas Belvaux a conçu sa trilogie de sorte qu’on puisse toujours y entrer, même si c’est par la fenêtre ou la porte de derrière. Bien sûr, les événements et situations seront perçus différemment selon la chronologie, mais n’en seront pas plus ou moins vrais. De toute manière, quel que soit l’ordre, le spectateur est invité à faire son propre film puisque les hors champs font partie intégrante de ce mécano géant. Et ce sont les off, tout ce qui n’est pas à l’écran mais dont on sent la présence, l’existence, qui donne à l’entreprise de Lucas Belvaux son côté familier, vivant, organique. Il faut un sacré talent pour faire exister au cinéma ce que l’on ne voit pas!

Peut-on adorer un film et détester les deux autres? Cela paraît difficile tant ils sont imbriqués les uns dans les autres, tant les personnages sont liés entre eux, tant leurs histoires se croisent et s’emboîtent. Rien ne se perd, rien ne se gagne, tout se transforme dans cette trilogie qui additionne les points de vue, mais pas les situations – les mêmes histoires s’y déploient au même endroit (Grenoble) et au même moment (quelques jours en été).

Ce n’est donc ni un feuilleton, ni une série, même si la démarche de Belvaux n’est pas très éloignée de certains concepts de télévision, notamment de «24 Heures Chrono», série américaine de 24 épisodes qui raconte en temps réel une journée de la vie d’un agent antiterroriste — cet événement distingué aux Emmy Awards sera d’ailleurs diffusé en mars sur la TSR. On peut en revanche rejeter en bloc cette entreprise, la juger trop théorique, ennuyeuse, «terroriste» même dans sa manière d’obliger le spectateur au multipack.

Est-ce que l’on peut comparer la trilogie de Belvaux au diptyque d’Alain Resnais, «Smoking/No smoking»? Non, pas tout à fait.

«Smoking/No Smoking» est un jeu de l’esprit, un concept imaginé à partir de combinaisons mathématiques, les probabilités. Resnais lorgne du côté du théâtre, de Guitry notamment, tandis que Lucas Belvaux tente de capter quelque chose du souffle de la vie dans ces histoires terriblement humaines, où rien n’est jamais sûr: la même scène peut être drôle, dramatique ou anodine.

C’est plutôt du côté de la littérature qu’il faudrait aller chercher une équivalence, le roman épistolaire par exemple ou des œuvres polyphoniques, dont le temps est la matière première, comme «La Recherche» de Proust où des personnages, des comportements, des phrases trouvent leur sens bien plus tard dans la narration.

Si les situations sont les mêmes d’un film à l’autre, n’a-t-on pas l’impression de redites? Non. D’une part parce que tout ne se rejoue pas, loin de là, ensuite parce que les scènes qui reviennent ne sont jamais filmées de la même manière, au point d’ailleurs de ne pas les reconnaître.

C’est particulièrement vrai de la scène où Dominique Blanc souffre d’une crise de manque. Dans «Cavale», le point de vue adopté est celui du «sauveteur», le terroriste en cavale, tandis que dans «Après la vie», il épouse celui de Dominique Blanc.

Dans «Cavale», on est agacé par l’irresponsabilité de la junkie; dans «Après la vie», en compassion avec la douleur, la panique suffocante, de cette fille détruite par la maladie. Certaines scènes peuvent même se lire tout à fait différemment. On croit Pascal, le flic ténébreux, amoureux d’Ornella Muti dans «Un Couple épatant», on comprend qu’il n’en est rien dans «Après la vie»; mari volage dans le premier, amant tragique dans le second, c’est pourtant le même homme, au même moment.

Au-delà de sa conception formelle, de quoi parle la trilogie? Même si chaque film met en scène un couple, c’est surtout de solitude que parle Lucas Belvaux. François Morel et Ornella Muti vont droit dans le mur, chacun de son côté, dans leur surenchère paranoïaque.

Solitude de Luca Belvaux, terroriste d’extrême gauche pour qui le monde n’a pas changé depuis la chute du Mur, qui accepte de vivre comme un rat pour continuer à y croire et termine sa trajectoire avalé par la neige. Solitude de Dominique Blanc et Gilbert Melki qui confondent amour et dépendance. Car chacun a sa drogue dans cette trilogie: morphine, pouvoir, sexe, idéal révolutionnaire, confort bourgeois, hypocondrie, jalousie.

Chacun «deale» avec son manque. Dans cette configuration, c’est évidemment Pascal, le flic (Gilbert Melki) qui a la meilleure place; c’est par lui que transite came, informations, secrets. Par sa fonction — mobilité et surveillance –, il est au cœur des intrigues ou à leur marge, mais toujours là, inquiet et inquiétant, protecteur et dealer. Lui, c’est aux sentiments qu’il se shoote; et pour en obtenir, il est capable des pires trafics.

S’il ne fallait voir qu’un seul de la trilogie, lequel serait-ce?

«Après la vie» qui résout certaines des énigmes posées précédemment mais surtout qui raconte des choses subtiles, violentes, terribles sur l’amour et la dépendance. C’est le plus sombre des trois, mais aussi le plus optimiste; le seul à laisser une porte ouverte à un avenir possible. Lucas Belvaux aime ses personnages, c’est incontestable, mais ne croit plus guère en l’humanité.