LATITUDES

Génération Covid: de la solitude à la reconstruction

Plusieurs études montrent que les jeunes ont particulièrement souffert de l’isolement lié à la crise sanitaire. Les professionnel-le-s redoutent une multiplication des décrochages scolaires et des états dépressifs si cette catégorie de la population continue à être stigmatisée.

«Le confinement m’a fait vivre une seconde dépression. » Au début de l’année 2020, Julie*, la vingtaine, venait de reprendre ses études. Elle entamait une maturité professionnelle dans le canton de Vaud après avoir traversé une importante dépression. Mais lorsque l’isolement lui est imposé en raison des restrictions sanitaires, ses troubles la rattrapent. Seule dans son studio, privée de contacts sociaux et scolaires, elle perd ce gout à la vie si fraîchement retrouvé. «D’abord j’ai décroché avec les cours. Puis j’ai commencé à manger et dormir de moins en moins, sans m’en rendre compte. Jusqu’à faire une décompensation psychotique et être hospitalisée.»

Aujourd’hui, Julie n’a pas repris ses études mais elle va mieux. Avec courage, elle met des mots sur cet épisode difficile : «J’allais bien et la crise sanitaire a arrêté le monde d’un coup. Je ne voyais plus personne, j’étais seule. Le confinement a été un déclencheur : il m’a replongée dans un mal-être profond.»

La population dans son ensemble a souffert des mesures d’isolement, mais les jeunes ont été particulièrement touchés. Une étude récente de l’Université de Bâle réalisée au cours de la deuxième vague de Covid-19 a montré une augmentation de près de 29% des symptômes dépressifs graves chez les 14‒24 ans (alors qu’elle est de 14% chez les 45‒54 ans et de 6% chez les 65 ans et plus, étude basée sur un échantillon de 11’000 personnes issues de toute la Suisse).

UN MAL-ETRE QUI DURE

Kerstin von Plessen est cheffe du Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHUV. Entre les mois de juin et septembre 2020, son service a accusé une augmentation de 40% des demandes d’hospitalisation par rapport à l’année précédente. «On ne peut pas dire que de telles requêtes soient toutes liées à la crise sanitaire, précise la professeure. L’étude réalisée par l’Université de Bâle prouve toutefois que les plus jeunes ont davantage souffert. L’interaction avec les pairs est essentielle à un âge ou l’individu se découvre et se construit. Les adolescent-e-s ont besoin des liens sociaux, car leur identité est basée sur le miroir que leur renvoient les autres.»

Les chiffres récoltés par la fondation Pro Juventute pour l’année 2020 viennent également confirmer la souffrance de toute une génération. La fondation propose via sa ligne 147 des conseils aux jeunes dans le besoin. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre et gratuitement, les personnes en difficulté peuvent contacter les collaborateurs du service par téléphone, message ou encore e-mail. Dès le début de la pandémie, le 147 a fait face à une augmentation des demandes de consultation. La responsable du Service conseils de la fondation en Suisse romande, Florence Baltisberger, insiste sur le caractère alarmant de ces appels. «Si les requêtes ne sont pas devenues ingérables en termes de quantité, c’est flagrant de voir l’augmentation de leur densité, explique-t-elle. Depuis la crise sanitaire, ces demandes de soutien durent plus longtemps mais se révèlent aussi plus compliquées.»

En 2020, selon le rapport annuel de Pro Juventute, enfants et jeunes adultes ont majoritairement sollicité le 147 pour des questions liées aux restrictions imposées à leur vie sociale. En comparaison avec l’année 2018, les inquiétudes et les doutes concernant la perte d’amis ou le sentiment de solitude représentent des thèmes sensiblement plus abordés (+93% et +37%). Mais encore, l’augmentation des problèmes personnels graves, tels que des pensées suicidaires ou des états dépressifs, a constitué presque la moitié des motifs d’appel au 147 durant cette année de pandémie.

SE RECONSTRUIRE POUR AVANCER

Alors que la vaccination redonne aujourd’hui de l’espoir et permet aux restrictions d’être peu à peu levées, une partie de cette classe d’âge continue de se sentir éprouvées. C’est ce qu’observe la docteure Alessandra Duc Marwood, spécialiste des questions de maltraitance intrafamiliale. «Nos adolescente-s et jeunes adultes souffrent encore massivement. L’isolement leur a donné, pour la plupart, un sentiment d’inutilité qui porte fortement atteinte au sens donné à leur vie et à leur avenir.»

Les conséquences sur le long terme de ces mois difficiles sont encore mal connues. Plusieurs institutions académiques romandes ont sondé les étudiant-e-s sur leur santé mentale, à l’instar de l’Université de Neuchâtel qui a produit un rapport ou l’on découvre que 86% des 1688 participantes et participants mentionnent des difficultés à rester motivés pour les études. À Genève, l’Adepsy (Association des étudiants en psychologie) a mené une enquête auprès de 509 étudiant-e-s. Les résultats sont alarmants : environ un tiers des sondés indique avoir eu des pensées suicidaires ou «envie de se faire du mal au moins une petite partie du temps» durant la pandémie. «Suivre de près cette génération est crucial : il faut agir maintenant et au plus vite», insiste Alessandra Duc Marwood. La pédopsychiatre redoute une perte de sens qui dure et qui se traduirait par une impossibilité pour les jeunes de reprendre une vie normale. Décrochages scolaires, manque de vision d’avenir ou encore états dépressifs sont autant de conséquences redoutées.

Face à ce futur incertain, une question demeure : comment aider les adultes de demain ? Autrement dit, comment permettre à cette «génération Covid» de se reconstruire ? Les docteures Kerstin von Plessen et Alessandra Duc Marwood s’accordent sur la réponse à donner : il faut prendre au sérieux les craintes et obstacles rencontrés durant la pandémie. Surtout, les deux professionnelles de la santé se montrent critiques quant à la stigmatisation qui a pu être réservée aux jeunes, parfois accusés de moins respecter les mesures que leurs aînés. Par exemple, des incidents comme les émeutes de Saint-Gall d’avril dernier, ou quelque 300 jeunes sont entrés en conflit avec les forces de l’ordre, ont contribué à jeter le blâme sur toute une génération.

De son côté, Alessandra Duc Marwood insiste sur la nécessité de reconnaître les efforts ainsi que les sacrifices réalisés. «Les jeunes sont pour la plupart capables de se reconstruire, explique-t-elle. Mais leur capacité de résilience va dépendre de ce que la société leur envoie comme message. C’est-à-dire, de comment elle va reconnaître qu’ils ont pour beaucoup joué le jeu durant toute la crise sanitaire. À un niveau sociétal et individuel, on doit pouvoir dire que c’est aussi grâce à leurs sacrifices qu’on voit le bout du tunnel.» Enfin, la docteure l’affirme: un avenir plus serein nécessite que l’on soit plus tolérant face au besoin de certains de se retrouver. «Il faut que l’on souhaite à notre jeunesse de pouvoir refaire la fête et recréer des liens. C’est crucial que chaque personne puisse se réparer.» /

*Prénom d’emprunt

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RECUEILLIR DES TEMOIGNAGES

Sur Instagram, Claire Descombes, 25 ans, s’organise. Cette étudiante en mathématiques à l’Université de Berne a ouvert en janvier dernier un compte (@anxietudessuperieurs.ch) qui publie les témoignages anonymes des étudiant-e-s face à l’isolement induit par la pandémie. «La solitude liée aux restrictions, dont la fermeture des hautes écoles, je l’ai vécue de plein fouet, avoue la jeune femme. J’ai voulu donner de la visibilité à ma propre expérience mais aussi à ce que je perçois autour de moi : les jeunes souffrent et ne se sentent pas écoutés.» Parmi la centaine de témoignages affichés sur le compte de Claire, certains mentionnent des symptômes dépressifs graves. D’autres reviennent sur leur décrochage scolaire. «Au début de l’année 2021, j’étais suspendue aux nouvelles, peut-on ainsi lire sur une publication. Je n’attendais qu’une chose, qu’on me dise que l’université rouvrirait… jusqu’au jour où j’apprends que nous resterons emprisonnés dans nos chambres pour tout le semestre.» De son côté, Claire Descombes affiche une méfiance face à l’avenir. «En tant qu’étudiants, on a peur d’être forcés à l’abandon du présentiel pour la suite de nos études. Si l’on continue ainsi, on risque de mettre sur pied une génération dénuée de toute capacité à socialiser et évoluer en société.»

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 23).

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