Les gaz à effet de serre, non. Les énergies fossiles, oui. Telle semble être désormais l’acrobatique politique énergétique du Conseil fédéral.
Il est gentil, le Conseil fédéral. La forêt brûle, les terrains glissent, les glaciers suent. Lui ne moufte pas, droit dans ses bottes, ce qui est bien pratique et plutôt prudent avec ces montées des eaux un peu partout.
Il n’est pas plus effrayé que ça par un été des grandes horreurs, tout en incendies et inondations, pas plus traumatisé que d’habitude par un énième et alarmiste rapport du GIEC. Serein même, pour évoquer, via la ministre de l’environnement Simonetta Sommaruga, un contre-projet à «L’initiative pour les glaciers» – un texte qui vise la fin des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.
Gentil mais pas fou, l’exécutif. La ministre a assuré que, bien sûr, le Conseil fédéral lui aussi a pour noble objectif la fin des émissions de gaz à effet de serre pour 2050. Avec une nuance de taille néanmoins où éclate toute sa féroce gentillesse, son sens aigu du laisser-faire: «La population ne devra pas avoir l’impression d’être punie.»
Les partisans du knout vert, de la cravache décarbonée pourront toujours se rassurer en se disant que le Conseil fédéral n’a pas exclu la punition mais seulement l’impression de la punition. Non pas le pilori mais le ressenti du pilori.
Cette extrême prudence peut se comprendre face à des citoyens qui ont beau entendre matin, midi et soir les prophètes du réchauffement climatique agiter leurs clochettes et promettre l’apocalypse, mais n’en continuent pas moins, lorsqu’il s’agit d’acheter une nouvelle voiture, d’opter une fois sur deux pour un bon vieux SUV.
Le Conseil fédéral en tout cas, la joue façon matou échaudé: «Le peuple a refusé la révision de la loi sur le CO2 qui prévoyait des mesures visant à réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Ce refus ne doit pas être interprété comme une opposition à la protection du climat mais plutôt comme un rejet des mesures proposées.»
Bref, dans cette affaire le gouvernement semble s’incliner devant le bon plaisir du peuple et adopter sa légère schizophrénie: oui à la lutte contre le réchauffement climatique, mais non aux moyens de gagner cette bataille.
C’est ainsi que le Conseil fédéral écarte d’un revers de main l’une des principales exigences de l’initiative des glaciers: l’interdiction, également pour 2050, des énergies fossiles. Au motif assez chafouin que l’on ne «connaît pas l’évolution des technologies d’ici là». Ce qui équivaut un peu à attendre qu’un miracle –plutôt que des pluies torrentielles ou des épisodes de canicule–, tombe du ciel. Certes il existe bien une énergie fossile sans CO2: le nucléaire. Mais pas de chance, d’ici 2050 on aura fermé toutes les centrales.
Les sept sages, visiblement désireux de ne surtout pas passer pour les sept salopards, souhaitent également que le statut particulier des régions de montagne plus dépendantes des énergies fossiles soit tenu en compte. Mais aussi que la sécurité du pays ne soit pas mise en danger par un renoncement à ces mêmes énergies fossiles. Et qu’il soit prévu des exceptions, dans les cas où «les technologies de substitution» ne seraient pas «supportables ou disponibles en quantité suffisante sur les plans économique et social».
Bien sûr on peut voir dans ce sabir administratif le légitime souci de ne pas ruiner le pays ou de déclencher une guerre civile au nom de préoccupations environnementales, aussi légitimes soient-elles.
Sauf que la façon de le dire de Simonetta Sommaruga montre autre chose: «On a le sentiment que protéger l’environnement c’est punir les gens. Mais la protection du climat n’est pas une punition. Il s’agit de mesures permettant de rendre compatible la vie des gens avec le climat.»
Ce qui renvoie à l’absurde et gentille idée de départ: garder le cap mais sans monter dans le bateau.