LATITUDES

«Presque-humains» et les autres mots de juillet

Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur l’usage des termes «presque-humains», «pluribiose» et «motards».

Les presque-humains

Les humains avaient déjà bien des préfixes, les préhumains, les suprahumains, les déshumains, les inhumains, les transhumains ou les posthumains. Vient de s’y ajouter, les presque-humains.

On fait leur connaissance dans l’essai de Thierry Hoquet, «Les presque-humains. Mutants, cyborg, robots, zombies… et nous». En faisant appel à quantité de personnages de fiction aux marges de l’humanité, le philosophe cerne leur désir d’être humains et interroge de manière très originale ce que c’est qu’être humain.

Ces personnages de notre imaginaire contemporain, nous ressemblent, nous fascinent ou nous répugnent. Ils questionnent notre représentation de l’être humain et la bouleversent car le «presque» est à la fois «déjà un peu», «pas encore vraiment» ou «plus tout à fait». Il donne à comprendre combien l’humain est devenu insaisissable, dépourvu d’une définition indéniable.

Thierry Hoquet divise les presque-humains des «blockbusters» en quatre familles distinctes: les aliens (goules, zombies et symbiotes), les équipés (mécas, cyborgs, organorgs), les golems (robots, clones, androïdes) et les trans (rogues, avatars, mutants). Mais quid de la composition et de la spécificité de la famille humaine? «À la fin, je ne sais pas s’il y a une différence entre les humains et les presque-humains», convient l’auteur.

La pluribiose

Depuis le début de la pandémie, la rhétorique guerrière a laissé place à l’évocation d’une cohabitation à long terme avec l’actuel virus, ses variants, ses prédécesseurs et ses successeurs. Sans s’appesantir sur les modalités de cette coexistence qui porte un nom: la pluribiose ; une notion développée par l’anthropologue des sciences Charlotte Brives.

La pluribiose, cette reconnaissance du caractère fondamentalement relationnel des formes de vie, permettrait d’envisager, comme un défi  non seulement alarmant mais potentiellement enrichissant, les relations entre les espèces. D’où la question, pour celles qui concernent les hommes et les virus, comment «devenir avec» plutôt que s’obstiner à «vivre avec»?

«L’histoire humaine est riche d’observations et de vécus des relations toujours mouvantes entretenues avec les virus et leurs potentialités transformatrices, et ce même si on choisit de ne s’intéresser qu’à la pathogénicité, qui ne représente qu’un aspect parmi beaucoup d’autres», constate la scientifique. Ennemis insidieux un jour, les virus peuvent devenir des alliés le lendemain, comme le montrent les prometteuses thérapies géniques.

Les motards

Non! Je m’insurge. Je ne suis pas la motarde de quelqu’un. Du moins, je fais mon possible pour l’éviter. Un statut que voudrait me faire endosser une campagne visant à redorer la réputation bien écornée des motards. «Espèce de motard!», les motocyclistes ne veulent plus enregistrer ce genre d’apostrophe sur la route de leurs vacances. Pour faire taire ces invectives, ils rétorquent via des vidéos et en pleines pages dans la presse: «Non! Le motard n’est pas une espèce à part.»

Leur preuve prend la forme d’une longue liste dans laquelle chacun devrait se reconnaître: «Dès qu’il retire son casque, le motard se révèle être: un cycliste, une trottinettiste, un piéton, une automobiliste, un skateboarder, un homme, une femme, vieux, hétéro, homo, de droite, de gauche (…) un président de la République… » (La campagne est lancée par la Mutuelle des motards, en France).

Suit la tentative d’attribuer à chacun le comportement souvent tonitruant, dangereux et irrespectueux d’un certain nombre d’entre eux: «A moto, à pied, en voiture, à vélo, à trottinette, nous sommes tous le motard de quelqu’un.» Aux cyclistes, automobilistes, piétons et autres usagers de la voie publique de réfuter par leur attitude ce dérapage argumentatif.