LATITUDES

Obèse, et alors?

L’obésité augmente les risques de dépression et de maladies cardiovasculaires. Mais les personnes concernées sont toujours plus nombreuses à se dire satisfaites de leur poids.

Un constat surprend dans les chiffres sur l’obésité publiés par l’Office fédéral de la statistique dans son « Enquête suisse sur la santé » (ESS) : les obèses sont de plus en plus satisfaits de leur poids. En 2007, ils étaient 27% à vivre sereinement leur obésité. Dix ans plus tard, cette proportion est passée à 36%. Les résultats, publiés à l’automne dernier, indiquent que 11% de la population est obèse, soit plus de 940 000 personnes.

« C’est une mauvaise nouvelle d’apprendre que les obèses s’habituent à leur poids, puisqu’ils n’iront probablement pas consulter. Alors qu’ils ont justement besoin d’un suivi pour être en meilleure santé », réagit la doctoresse Lucie Favre, médecin associée au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).

La lutte contre l’obésité doit être renforcée de manière plus ciblée. « Les cas de patients présentant une obésité modérée à sévère (IMC supérieur à 30 kg/m2) augmentent depuis une dizaine d’années dans notre service », dit Lucie Favre. Son service suit actuellement une centaine de patients de ce type. Ils arrivent uniquement de l’Arc lémanique et nécessitent une prise en charge pluridisciplinaire à la fois par des nutritionnistes, des diététiciens et des psychologues.

Une lutte globale

En 2019, une étude de l’OCDE a par ailleurs relevé que l’espérance de vie des Suisses pourrait diminuer de 1,9 année d’ici à 2050 en raison de cette maladie. Le secrétaire général de l’OCDE, José Ángel Gurría, a appelé les pays membres à agir en améliorant la prévention et en demandant de restreindre la publicité pour les aliments malsains.

L’offre alimentaire pose de nombreux problèmes de santé, au même titre que les publicités vantant les produits à haute teneur calorique tels que les boissons sucrées, la viande ou le fromage. « Le modèle économique de l’industrie agroalimentaire valorise excessivement des aliments sucrés, gras ou transformés qui sont peu sains et favorisent ainsi la prise de poids », explique Salvatore Bevilacqua, socio-anthropologue à l’Institut des humanités en médecine (IHM) du CHUV.

En 2012, plusieurs organisations de consommateurs suisses (ACSI, FRC, Konsumentenschutz) ont mis leurs forces en commun pour étudier les publicités alimentaires. Leur étude a démontré que la part des publicités pour des produits de fast-food à la télévision s’intensifiait durant les horaires destinés aux enfants, tandis que les spots publicitaires pour des fruits et légumes diminuaient durant la même période.

« Nos modes de vie sont à l’origine de l’augmentation de l’obésité puisqu’on peut aujourd’hui manger à n’importe quelle heure et que nous sommes constamment stimulés en ce sens par la publicité », regrette Lucie Favre. La médecin déplore également que les enfants soient exposés à toutes sortes de sucreries, dans les centres commerciaux par exemple. « En Suisse, la pyramide alimentaire est inversée par la publicité et s’oppose ainsi aux recommandations de la Société suisse de nutrition,ajoute Salvatore Bevilacqua. Nous vivons dans une société obésogène. »

Des conséquences psychiques et sociales

L’étude de l’Office fédéral de la statistique (OFS) évoque pour la première fois les conséquences de l’obésité sur la santé psychique des patients. L’enquête montre notamment que 12% des obèses déclarent souffrir de dépression modérée, 19% de détresse psychologique moyenne ou élevée, et qu’une personne obèse présente 1,6 fois plus de risques de dépression.

« La stigmatisation sociale des personnes obèses est un problème majeur pour nos patients et crée des souffrances psychiques importantes », remarque Lucie Favre. Les consultations montrent que les personnes les plus défavorisées sont bien plus touchées par la maladie. Salvatore Bevilacqua précise que « les adolescents concernés souffrent d’autant plus qu’ils subissent pour la plupart des moqueries répétées de la part de leurs camarades de classe, durant une période capitale pour la confiance en soi et la construction de l’identité. »

Les groupes de population avec un faible niveau de formation sont plus souvent affectés par l’obésité, indique l’étude de l’OFS. « Il est vrai que les personnes moins formées ont souvent moins de ressources personnelles et financières pour s’intéresser aux liens entre nutrition et santé », explique Lucie Favre.

L’aspect psychologique du traitement est important. « Dès la première consultation, nous impliquons une psychologue et une diététicienne pour répondre aux besoins de nos patients et les accompagner le mieux possible dans leur perte de poids. » De nombreux patients peuvent exprimer leur désarroi et leur tristesse dès la première rencontre, parce qu’ils sont enfin pris au sérieux et trouvent un cadre rassurant pour avancer dans leur traitement.

La prise en charge pluridisciplinaire par le Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV comprend ainsi des ateliers de groupe. « Nous travaillons ensemble sur leurs sensations liées à la nourriture afin de les aider à identifier leurs troubles alimentaires », explique Lucie Favre.

Les risques de l’obésité sont connus depuis longtemps. « Les conséquences concrètes sur la santé sont l’augmentation des maladies cardiovasculaires comme l’hypertension, et l’augmentation des risques de développer certains cancers ou encore du diabète, poursuit Lucie Favre. L’obésité doit dès lors apparaître comme une priorité de santé publique et être considérée comme une maladie. »

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Lutter contre la grossophobie

Plusieurs associations se battent contre les discriminations que subissent des personnes obèses telles que des moqueries sur leur poids ou le regard de la population. C’est le cas de Perceptio Cibus dans le canton de Vaud. Ses membres luttent contre la grossophobie, ou l’ensemble des attitudes et des comportements hostiles qui stigmatisent et discriminent les personnes obèses.

« Je pense que le monde médical discrimine encore trop souvent les patients souffrant d’obésité, explique la doctoresse Lucie Favre, même si je ne trouve pas le terme grossophobie très adéquat. Je préfère parler de stigmatisation des obèses. » Ce n’est pas l’inquiétude de devenir obèse qui pose problème, mais bien « le regard que porte la société sur les malades d’obésité », souligne Salvatore Bevilacqua.

Peceptio Cibus organise notamment des groupes de parole thérapeutiques et des ateliers afin de lutter contre la grossophobie. Elle propose enfin un suivi de perte de poids aux personnes touchées par l’obésité. Toutes les offres de l’association vaudoise visent à améliorer le bien-être des bénéficiaires de leurs services.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 22).

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