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Sébile et burqa

La Suisse se montrerait-elle faible avec les forts et forte avec les faibles? Il semblerait en tout cas que dans nos rues, mieux vaut porter la burqa que tendre la main.

Une Suisse indulgente et une autre impitoyable. Une qui ferme tranquillement les yeux, une autre qui fronce brutalement les sourcils. Deux événements largement anecdotiques mettent en lumière la coexistence de cette double réalité.

C’est d’abord Karin Keller-Sutter qui prône, au nom du Conseil fédéral, le rejet de la grand-guignolesque initiative dite «anti-burqa», lancée par l’impayable comité d’Egerkingen qui nous avait déjà valu la bonne blague sur les minarets, et soutenue principalement par l’UDC. La cheffe du Département de justice et police juge d’emblée ce texte sur «l’interdiction de se dissimuler le visage» – qui vise théoriquement aussi bien les femmes voilées que les casseurs cagoulés – parfaitement inutile.

Et ce en se focalisant curieusement sur les femmes voilées plutôt que les black blocs. Femmes voilées qu’elle semble avoir comptées, puisqu’elle croit savoir, se basant sur une étude de l’Université de Lucerne, qu’elles ne seraient guère plus d’une trentaine en Suisse. Non seulement Karin Keller-Sutter sait combien de femmes voilées vivent en Suisse, mais aussi – par quel prodigieux sondage des cœurs? – qu’elles le feraient par conviction propre et en toute liberté. Tariq Ramadan, grand ami des femmes plutôt dévoilées, n’aurait pas dit mieux.

Bref en Suisse, «nous n’avons aucun problème avec la dissimulation du visage» a martelé la conseillère fédérale. Ce qui est un peu contradictoire avec le fait que le même Conseil fédéral oppose à l’initiative un contre-projet qui prévoit une amende de 10’000 francs pour toute personne refusant de montrer sa bobine lorsque c’est nécessaire, notamment pour des motifs d’identification, par exemple dans les administrations ou les transports publics.

De plus, même une partie, certes minoritaire, de la gauche, celle pour qui les mots de laïcité et de féminisme ne sont pas là que pour faire joli, voit au contraire dans la burqa un vrai problème, à l’instar du conseiller communal lausannois Benoît Gaillard: «Lorsqu’une pratique religieuse est contraire aux droits humains et au fondement de la démocratie qu’est l’égalité des sexes, il y a lieu de l’interdire. Le voile intégral prive les femmes de toute existence publique. Il n’est pas compatible avec la citoyenneté et ce n’est stigmatiser personne que de faire cette analyse, strictement politique.»

Mais, comme l’a évoqué sans trop de vergogne Karine Keller-Sutter, il ne s’agirait quand même pas d’aller embêter les riches et précieuses touristes voilées venues du Golf qui arpentent la rue du Rhône à Genève ou la Bahnhofstrasse à Zurich.

Voilà donc pour la Suisse qui ferme bienveillamment les yeux et n’a peur de rien. Passons maintenant à la Suisse sans pitié et qui semble avoir peur de tout. Par exemple d’une jeune mendiante rom analphabète, à l’œuvre elle aussi dans les rues de Genève. Mais condamnée, elle, pour fait de mendicité, à une amende de 500 francs, après s’être fait saisir son maigre butin. Condamnation confirmée par le Tribunal fédéral.

Sauf que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné à son tour la Suisse pour avoir infligé une telle amende, en sus de la confiscation des quelques piécettes obtenues en tendant la main. «Placée dans une situation de vulnérabilité manifeste, la requérante avait le droit, inhérent à la dignité humaine, de pouvoir exprimer sa détresse et essayer de remédier à ses besoins par la mendicité», a sobrement estimé la Cour.

Pour résumer, on se trouve sans doute là devant une énième illustration de ce vieux principe, de ce péché pas trop mignon, auquel la Suisse, comme tant d’autres entités administratives, aime à succomber: se montrer faible avec les forts et fort avec les faibles. Ceci alors même que la population en est réduite à ne plus se déplacer que masquée, et bon nombre d’entreprises et acteurs culturels à ne plus avoir d’autres activités que celle de mendier.