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«Pas de gaieté de cœur»

Le Conseil fédéral semble presque s’excuser de prolonger et de durcir les mesures sanitaires. La preuve qu’on ne s’improvise pas dictateur.

«Pas de gaieté de cœur». Il l’a répété plusieurs fois, Guy Parmelin, derrière son masque et sa protection plexiglas, que non, ce n’était «pas de gaieté de cœur». Il n’aurait manqué plus que ça, que ce soit «de gaieté de cœur» que le Conseil fédéral prolonge et renforce les mesures de confinement. Comme si l’on avait pu penser un seul instant que ce gouvernement agissait sous l’emprise de pulsions sadiques. Guy Parmelin, en tout cas, a imaginé qu’on puisse se l’imaginer.

On a beau pourtant parler de «semi-confinement light», en limitant les échanges commerciaux aux biens de «consommation courante», le Conseil fédéral, comme tant d’autres exécutifs en Europe et dans le monde, s’arroge une fois de plus un pouvoir dont aucune dictature en temps normal n’aurait osé rêver. Dicter ce que doit être le quotidien du citoyen, en décidant de façon tout à fait arbitraire, et jamais très claire, quels sont les seuls besoins des dits citoyens qui ne sauraient être sacrifiés, même en cas de situation exceptionnelle. Comme si le gouvernement connaissait de façon exacte et infuse le sens de l’existence humaine et la vraie nature de l’Homo sapiens.

Dans l’esprit de ce Conseil fédéral, qui pour la première fois, sans doute échaudé par les expériences précédentes, prend des mesures préventives plutôt que réactives, voici donc ce qui semble constituer un être humain. Avant tout et surtout une créature qui mange. Aucunes restrictions donc sur les commerces alimentaires.

Les restaurants pourtant, restent fermés. Ce qui permet d’affiner la définition: une créature qui mange seule. À la poubelle donc, l’animal social cher aux vieux et barbants philosophes grecs. Tellement peu social, l’animal, que se réunir à cinq est considéré comme le maximum tolérable, et un luxe illégal au-delà.

L’homme selon le Conseil fédéral est donc une créature qui mange et vit seule mais qui soigne néanmoins son apparence. Les coiffeurs ne seront pas impactés par les mesures sanitaires. Une créature qui mange et vit seule, soigne son apparence, mais aussi prend soin de sa santé. Les pharmacies resteront ouvertes bien sûr, mais aussi tous les commerces vendant des lunettes ou des appareils auditifs. Les petits malins se demanderont peut-être pour voir et entendre quoi, puisque tout est bouclé, que désormais on est prié de rester chez soi, à ne rien faire ou à télétravailler, ce qui est parfois synonyme.

Enfin, cette créature -qui mange seule, soigne son apparence, sa santé, sa vue et son ouïe et priée de ne voir personne, mais autorisée à bricoler et jardiner- dispose pourtant d’un droit imprescriptible et sacré à la mobilité: garages et marchands de cycles restent ouverts. «Pour aller où?», se gausseront les mêmes fins esprits. La réponse est d’ailleurs connue: à la Migros et baste.

On allait presque oublier: cette créature est animée en sus de la nécessité absolue de faire savoir qu’elle existe. Il faut donc qu’elle puisse surfer, téléphoner, mailer, télécharger, téléconférencer: les opérateurs de télécommunications ne seront donc soumis à aucune restriction sanitaire.

On pourrait penser que cela s’arrêterait là. Or, il existe une étrange cerise sur cette pièce montée de travers: la créature mobile qui mange et vit seule, soigne son apparence et sa santé, plante des clous et des choux, roule à vélo et ne communique plus que virtuellement, est aussi mue par un besoin essentiel, vital, que rien au monde ne saurait venir contrarier: celui d’acheter des fleurs. Mais peut-être ce Conseil fédéral, de plus en plus lugubre, ne songeait-t-il là qu’aux couronnes mortuaires.

On rétorquera bien sûr que toutes ces mesures sont nécessaires, qu’il faut bien faire quelque chose, sinon «qu’est-ce qu’on nous dirait» en cas de troisième vague explosive, à l’anglaise,  comme l’a reconnu, étrangement timoré, un Alain Berset que l’on avait connu plus fier-à-bras.

Au mantra parmelinesque «pas de gaieté de cœur», on pourrait donc être tenté d’ajouter «mais la trouille au ventre».