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Glencore, stop ou encore

L’initiative «pour des multinationales responsables» montre que la pandémie met tout à mal, sauf les enthousiasmes idéologiques et la belle sonorité des mots creux.

Tandis que les fonctionnaires genevois, comme le révèle «Heidi.news», battent des records d’absentéisme (on ne pourra au moins pas les accuser d’obstruction au confinement), les employés de la RTS, plus média d’Etat que jamais, appellent la présidente de la Confédération au secours dans les affaires de harcèlement qui secouent la grande tour. Tandis qu’Alain Berset, lui, ne semble plus vouloir quitter sa houppelande de Père Fouettard, allant jusqu’à doucher les enthousiasmes nés de l’annonce d’un vaccin prochain par un: «On peut raconter ce qu’on veut avec les dates. Tant qu’il n’y a pas un produit autorisé, il ne se passe rien.» Tandis que tout cela, la vie continue et la politique qui va avec, entraînant son petit cortège de gros affrontements idéologiques.

La votation du 29 novembre sur l’initiative «pour des multinationales responsables» agace à cet égard particulièrement la verve des tribus, tout en rebattant les cartes. Parmi les partisans de l’initiative, on trouve la gauche en rangs serrés, des milliers de bénévoles, des Eglises et des ONG en veux-tu en voilà –bref, le camp du bien au grand complet– mais aussi un comité de droite et pas mal d’entrepreneurs.

La figure de proue des partisans de cette sérieuse mise au pas des méchantes multinationales est d’ailleurs un homme de droite, l’ancien sénateur radical Dick Marty, dont les positions, c’est vrai, se situent souvent à gauche de l’aile gauche du parti. Alors que l’icône des opposants –outre la vraie droite et economiesuisse, bref le camp du mal, droit dans ses bottes– est l’écologiste Isabelle Chevalley, tenante certes d’une écologie libérale, mais quand même un peu à contre-emploi dans la virulence qu’elle met à voler au secours des Glencore & Co.

Tout cela peut paraître un peu embrouillé alors que rien n’a jamais été aussi simple. Ecoutons Dick Marty: «Les multinationales sont dominées par des actionnaires, souvent des fonds spéculatifs, qui leur demandent des comptes tous les 3 mois et mettent le management sous pression. Voilà pourquoi vous avez en Afrique des cimentiers n’utilisant pas de protection contre la poussière, laquelle se retrouve ensuite dans l’air, la nourriture, l’eau.»

Puis écoutons Isabelle Chevalley, persuadée que mettre les bâtons dans les roues des multinationales suisses c’est ouvrir la porte à des multinationales pires encore: «Je suis convaincue que cette initiative ne va pas améliorer les conditions de vie des Africains, mais les empirer… Les initiants exigent que les entreprises établies en Suisse assurent le respect des droits humains et de l’environnement par toutes leurs relations économiques à l’étranger. Si ce n’est pas possible, les entreprises ne doivent plus travailler avec les pays concernés. Cela revient à mettre un embargo économique sur des pays déjà très pauvres.»

Ecoutons encore Dick Marty: «Jamais un représentant du Conseil fédéral ne s’est opposé à une initiative d’une façon aussi partiale, avec tant de contre-vérités que Karin Keller Sutter. Un porte-parole de Glencore n’aurait pas fait mieux.» Prêtons une dernière oreille à Isabelle Chevalley: «Est-ce que la complexité de la réalité intéresse vraiment les ONG qui ont lancé cette initiative?»

Ce qui est assez troublant, c’est que les deux camps se renvoient l’accusation de néocolonialisme. Exploiter les Africains c’est évidemment du néo-colonialisme, mais penser qu’ils ne sont pas assez grands pour se défendre tout seuls aussi. Preuve sans doute que ce mot, comme tant d’autres du discours militant, est à peu près dépourvu de sens et ne sert qu’à donner de l’adversaire une image dégradante. De la même façon que quand on vous traite d’islamophobe ou au contraire d’islamo-gauchiste, c’est sans doute parce que l’on n’a plus d’arguments rationnels à vous opposer.