GLOCAL

Nager, oui, mais dans la confusion

Les églises rouvrent, pas les stades de football: tout le monde n’est pas égal devant son opium, mais chacun, ou presque, se montre satisfait du Conseil fédéral. Bref, ça déconfine sec.

La messe oui, les matchs de foot non. Ainsi avance le déconfinement. En privilégiant, pourrait-on croire, le sérieux, le sacré et en renvoyant le futile à des jours meilleurs. Même si l’explication donnée par Alain Berset s’avère davantage pratique que hautement philosophique: les communautés religieuses se seraient engagées à fournir la liste des personnes présentes aux cérémonies. Façon de procéder moins envisageable lors d’un match de foot. Sans doute parce que même à la Pontaise on trouve davantage de monde dans les travées que dans n’importe quelle église, les dieux du stade ne connaissant pas la crise des vocations.

Bien sûr  le ministre ne pouvait pas s’en tenir là. Il lui fallait enrober cette annonce d’une solennité qui semble contagieuse, comme chaque fois que l’heure se fait grave: «Nous sentons depuis pas mal de temps ce besoin de pouvoir célébrer ensemble.» Ainsi prêcha l’abbé Berset qui déposait dans la foulée deux cerises sur le gâteau, avec l’autorisation de célébrer à nouveau mariages et baptêmes. Un triple alléluia donc.

Trêve d’ironie, d’autant plus qu’un sondage de l’institut gfs.bern montre que les Suisses plébiscitent l’action du Conseil fédéral face à l’hydre du virus: 78 % d’opinions favorables. De quoi faire s’étouffer de jalousie le premier Macron venu.

Bien sûr, en parallèle, les mêmes Suisses font savoir au même institut de sondage que non, les manifestations sportives ne leur ont pas manqué. Seuls 36 % se sentent affectés par la disparition brutale de cette drogue qu’on imaginait plus dure. Non, ce qui leur a vraiment manqué aux Suisses du confinement, ce sont, à 89%, les amis et les collègues.

C’est un peu le problème avec les sondages: les réponses reçues vont, en général, dans un sens propre à faire surgir l’image favorable que le sondé entend donner de lui-même. Non pas accro au vulgaire jeu de balle, mais fervent et friand amateur d’une vie sociale harmonieuse, de rencontres et d’échanges forcément enrichissants.

D’ailleurs, tiens, nous ne sommes plus que 33% à dire que les relations avec nos voisins se sont renforcées. Comme si, dès que l’on abordait les exercices pratiques, les bons principes soudain perdaient de leur superbe.

L’irrationnel revient d’ailleurs au galop dès que l’on demande aux Suisses leur opinion sur certains pays durant ces deux mois de désastre sanitaire et économique. Les 86 % d’opinions défavorables sur la Chine peuvent se comprendre. Pas besoin d’avoir les cheveux orange pour se rappeler tous les matins qu’ils sont un peu pour quelque chose dans cette affaire, les Chinois. Quand même, manger de la chauve-souris, quelle drôle d’idée.

Plus surprenants en revanche, les 60 % d’opinions négatives s’agissant de l’Italie, pays tout de même quasi-martyr qui s’est retrouvé bien malgré lui en première ligne. Le Suisse moyen, il est vrai, a souvent entretenu avec son voisin transalpin des rapports schizophrènes mélangeant allègrement les sentiments de supériorité et d’infériorité. Aux uns la Renaissance, aux autres le coucou, se gaussait déjà Orson Welles.

Moins étonnants, mais pas moins absurdes, les 92 % d’opinions défavorables sur les États-Unis, principales victimes du virus, en chiffres au moins. Mais l’anti-américanisme primaire n’a-t-il pas toujours été une des imbécillités les mieux partagées?

Enfin, Guy Parmelin a beau, au milieu de cette douce euphorie accompagnant le retour à une vie normale jouer les troubles fêtes en s’effarant du lourd bilan économique – 190 000 entreprises représentant 1,9 million de travailleurs et 37 % de la main d’œuvre du pays, qui ont demandé des indemnités de chômage partiel. Ces chiffres colossaux ne semblent pourtant pas atteindre le moral des Suisses qui sont 87% à avouer s’en sortir «globalement pas mal».

De là, à penser que, tout aussi globalement, le confinement a pu altérer certaines capacités de discernement, il y a moins qu’un pas. Ne sommes-nous pas en effet seulement 40 % à souhaiter la réouverture des piscines en été? Comme si pour l’heure c’était surtout en pleine confusion qu’il fallait nager.