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Le discours contaminé

Le nouveau virus permet au monde politique de réaliser de vieux fantasmes. Comme fustiger la mondialisation ou retrouver le goût de l’autorité.

Peut-on parler d’autre chose que de virus? Chanter d’autres couplets que celui de la pandémie? Cela semble compliqué. Le mal frappe aussi le discours politique, déjà hautement contaminé. Ce peut-être comme chez la conseillère nationale vaudoise Brigitte Crottaz, médecin de formation et socialiste, l’occasion de fustiger l’hydre de la mondialisation qui finit, à force, par se mordre sa queue interminable: «Presque tous les médicaments sont faits en Chine.» Ce n’est en effet vraiment pas de chance.

Et puis le virus permet enfin à nos politiques de joindre sans tergiverser les actes à la parole, exercice ordinairement peu pratiqué dans ce milieu. Des actes parfois spectaculaires, comme ceux d’un Conseil fédéral en train de réaliser sans doute le vieux rêve de tout démocrate fatigué: disposer enfin d’une vraie autorité.

En interdisant par exemple, d’un coup d’un seul s’il vous plaît, les rassemblements de plus de 1000 personnes. Il se murmure même déjà que dans une phase suivante ce chiffre pourrait être ramené à 50 personnes. Il ne manquera alors plus qu’un petit effort pour atteindre les standards propres à toute dictature qui se respecte: l’interdiction des rassemblements de plus de 3 personnes.

Tout se juge, se jauge désormais à l’aune du virus. Prenez la Journée internationale des femmes, le 8 mars. La gauche et les milieux féministes à Genève s’inquiétaient que l’interdiction de rassemblement vienne tuer dans l’œuf les virevoltantes manifestations prévues pour cette occasion. Et réclamaient de la «proportionnalité» dans les interdictions, autrement dit des exceptions en fonction des motifs de rassemblement. Ne serait-il pas dommage en effet qu’un si sale virus se mêle de freiner la marche en avant d’une cause si saine? Aux dernières nouvelles on s’acheminait vers des démonstrations «décentralisées». Le cortège dans l’air du temps comptera désormais 999 personnes.

Déjà que la maladie porte un méchant coup au vivre ensemble intergénérationnel, si l’on en croit l’Office fédéral de la santé publique: «Le coronavirus épargne les plus jeunes. À l’inverse des personnes âgées. Or en fermant les écoles, beaucoup de grands-parents seraient sollicités pour garder les enfants.» Là encore, pas de chance.

Bref, le virus masque tout, étouffe tout, écrase tout. Même les bonnes nouvelles. Comme la grosse embellie qu’ont connu en 2019 les ventes de matériel militaire suisse: 43% de plus! Grâce à surtout à trois juteux contrats avec le Danemark, la Roumanie et le Bangladesh, annonce comme à voix basse le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO).

Ce qui montre que la Suisse qui vend, y compris des armes, n’est pas la Suisse qui discrimine. Bien sûr le GSsA n’est pas content. Sa porte-parole estime que cette politique de vente d’armes «n’est pas dans l’esprit de la promotion internationale de la paix», étant entendu, même si on ne sait plus trop par qui, que «la Suisse doit exporter la paix et non la guerre». Certes, «mais en vendant quoi?» pourrait demander le SECO. Des colliers de fleurs? Et puis exporter la paix au Danemark, ce serait un peu comme proposer de la neige aux Esquimaux.

On oubliait: grâce au virus un huis-clos a été prononcé au Palais fédéral. Une aubaine, comme s’en réjouit la doctoresse Crottaz: «C’est beaucoup plus calme pour travailler sur les dossiers.» À la fin donc, comme dans toutes les bonnes histoires – et comme dans les cimetières – c’est le silence qui gagne.