LATITUDES

Une musicalité ouverte au monde

David Torreblanca, programmateur du Montreux Jazz Festival, raconte les coulisses de l’événement phare de la Riviera vaudoise. Il revient aussi sur le rôle joué par la région dans la découverte des artistes et des tendances musicales de demain.

 Lorsqu’il parle, David Torreblanca a le débit vif et le rire contagieux. Originaire du Chili, le Lausannois d’adoption occupe depuis six ans les postes de programmateur et de directeur opérationnel du Montreux Jazz Festival. Pour la découverte de nouveaux artistes et des tendances musicales de demain, le quadragénaire voyage énormément, visite des salles de spectacles oubliées et écoute des oeuvres en devenir. Loin de cette frénésie de son métier, il aime se réfugier à Lausanne pour y explorer son architecture ou se rendre dans des événements plus intimistes mais débordant d’art et de vie. Pour lui, la capitale vaudoise n’a rien à envier à Paris ou à Londres en termes d’offres culturelles.

David Torreblanca, programmateur au Montreux Jazz Festival, photographies au Bourg à Lausanne.

Comment êtes-vous entré au sein du Montreux Jazz Festival?

David Torreblanca: À la suite de mon diplôme de l’École hôtelière de Lausanne, j’avais accumulé de l’expérience comme coordinateur de banquets à l’exposition nationale Expo.02, puis comme assistant restauration dans un centre commercial. J’ai découvert ensuite une annonce dans le domaine de la coordination au Montreux Jazz Festival où j’ai été engagé en 2004.

Vous êtes devenu depuis directeur opérationnel de l’événement…

J’ai fait comme on dit mon bonhomme de chemin. Au fur et à mesure, on me donnait davantage de responsabilités et j’ai aussi su saisir quelques opportunités. Lors d’une édition, j’ai proposé à Claude Nobs (père fondateur du festival, ndlr) de programmer le chanteur canadien Justin Nozuka. Étonnamment, son concert a eu énormément de succès. Le directeur Mathieu Jaton m’a alors confié la programmation du Montreux Jazz Café en parallèle de ma fonction de coordinateur de la restauration. J’ai accepté, mais j’étais terrifié. J’ai donc demandé de l’aide à mon ami Alexandre Edelmann. J’ai commencé à lire énormément de magazines en lien avec la musique, écouter plusieurs chaînes de radio et à me rendre dans les salles de concert pour sentir quelle serait la musique de demain. Le plus étonnant dans l’histoire, c’est que je ne suis pas un passionné de musique. J’en écoute bien évidemment, et notamment des albums gothiques ou New Wave. J’ai vraiment dû me faire l’oreille musicale.

Comment maintenez-vous la flamme quinze ans plus tard?

C’est une question que je me pose tous les jours. La flamme est toujours là, mais elle a changé de couleur, car au fil des années, j’ai accumulé de nombreuses fonctions comme la gestion des infrastructures. J’aime la programmation car cela demande de s’intéresser aux artistes émergents, aux tendances musicales et à la jeunesse. Et j’apprécie réellement de me rendre dans des salles ou des festivals méconnus juste pour découvrir des nouveautés. Par contre, j’ai également besoin d’avoir des opérations plus « terre à terre » pour maintenir la flamme.

Vous avez passé treize ans au Chili avant de venir habiter en Suisse. Comment s’est passée cette arrivée?

À cause de l’instabilité politique, due à l’arrivée de Pinochet au pouvoir, mes parents ont préféré rentrer en Suisse. Le voyage a été une vraie souffrance. J’ai tellement pleuré dans l’avion… Nous nous sommes d’abord installés à Sion où l’accueil a été catastrophique. Aucune volonté de nous accueillir, et des commentaires désobligeants à foison. Mes parents ont donc décidé de déménager à Neuchâtel où j’ai littéralement fait les 400 coups. Puis, j’ai déménagé pour venir étudier à l’École hôtelière de Lausanne.

Comment vous vous sentez aujourd’hui dans la capitale vaudoise?

Ma découverte de Lausanne s’est faite en deux temps. En tant qu’étudiant, j’y venais uniquement pour faire la fête. C’est vraiment après mes études que j’ai découvert l’autre visage de la ville. C’est ici que je me suis cultivé, que ce soit au contact de la musique, des arts vivants ou du théâtre. Un de mes premiers événements marquants aura été le LUFF, le Lausanne Underground Film & Music Festival. J’aime l’harmonie entre le côté sombre et le décalé de la manifestation. Puis ce sont les événements comme la Fête du Slip, qui traite de la sexualité sous toutes ses formes, ou les démonstrations de chorégraphie des Quarts d’Heure du Théâtre Sévelin. Tous expérimentent et osent, à l’image de Lausanne.

Comment jugez-vous l’offre musicale à Lausanne?

Elle est multiple et ouverte. De manière générale, le canton de Vaud aime mettre en avant la musique dans son ensemble. En ce sens, Lausanne est un bouillon musical car il y a énormément de collectifs qui se déploient sur tous les spectres musicaux.

Quels sont les lieux emblématiques lausannois pour les amateurs de musique?

Le Romandie ou La Cave du Bleu sont des établissements hautement recommandables. C’est d’ailleurs dans la Cave du Bleu que j’ai découvert l’artiste français Eddy de Pretto. Je le suivais depuis quelque temps et il s’est produit à Lausanne avant d’acquérir une grande renommée. Mais lors de son passage lausannois, sa prestation a été catastrophique. Le son était mauvais, et on le sentait peu à l’aise. Mais j’avais confiance, et sa prestation à Montreux a été un succès. Et c’est au Romandie que j’ai découvert le collectif français Fauve.

Parmi les nombreux chanteurs et groupes qui viennent au Montreux Jazz, certains se rendent-ils à Lausanne pour découvrir la ville?

Aujourd’hui, les artistes doivent se montrer rentables. À peine leur concert est-il terminé à Montreux, ils repartent vers un autre festival. Mais il y a des exceptions. Je me souviens d’une belle anecdote liée à la venue de Prince en 2009. Il s’est rendu plusieurs fois à Lausanne, en passant par des petites routes des vignes du Lavaux. Il a d’ailleurs rencontré plusieurs fois le sculpteur veveysan Zapoff dans la célèbre boîte de nuit du MAD. À la suite de cette rencontre, il a exigé d’avoir les sculptures un peu particulières de l’artiste lors de sa prestation sur scène. Nous avons dû les déménager de Lausanne jusqu’à Montreux! Et les rapporter le lendemain! (rires)

Si vous deviez emmener les artistes à Lausanne, où iriez-vous?

Dans un premier temps, je leur ferais d’abord visiter des monuments d’architecture exceptionnels comme le siège de La Vaudoise, juste derrière le Parc de Milan qui est l’oeuvre de l’architecte suisse Jean Tschumi. Ensuite, il faudrait profiter des espaces verts de Lausanne, comme le Parc de Milan ou celui de Mon-Repos. Lausanne a la chance de posséder des espaces verts et de lieux architecturaux qui débordent de vie!

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Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans The Lausanner (no4).