C’est dans le canton de Doris Leuthard et des centrales nucléaires qu’a germé l’idée si suisse de conditionner l’octroi de la nationalité à dix années de séjour sans toucher un centime d’aide sociale.
Que savons-nous d’Argovie? Pas grand-chose pour la plupart d’entre nous, sauf que ce canton est celui de Doris Leuthard et, qu’il reste pour quelques années encore, le parc nucléaire de la Suisse. Aussi peut-être que le grand voisin zurichois et urbain possède un stock infini de «Witze» plus fins les uns que les autres sur le côté prétendument rustique des Argoviens.
C’est en tout cas dans ce canton qu’a germé une drôle d’idée semblant à priori être le comble de la suissitude: conditionner l’octroi de la nationalité à dix années passées dans notre pays sans avoir touché ne serait-ce qu’un demi fifrelin d’aide sociale.
Cette disposition figure dans la nouvelle loi cantonale sur la citoyenneté à propos de laquelle les Argoviens doivent se prononcer. Des exceptions sont prévues pour les malades, les handicapés et les working poors, c’est-à-dire des gens qui travaillent mais sont si mal payé qu’ils ont besoin de compléments de revenus sous la forme d’un coup de pouce social.
On voit très bien ce qui ne se cache même pas derrière cette brillante idée: que la valeur numéro un et la seule qui vaille pour acquérir l’identité suisse qui en soit vraiment une, c’est le travail. Rien d’autre qui compte. Rien d’autre qui soit digne de cette suprême récompense: un passeport rouge à croix blanche.
Non, la Suisse n’est pas le pays du chocolat, cette friandise pour enfants oisifs. Encore moins celui des vaches, animaux qui passent leur temps couchés bêtement dans l’herbe à ruminer et regarder passer les trains. Pas même celui des banquiers, larbins dont la seule tâche consiste à recueillir et accueillir les fruits du saint travail. La Suisse, c’est l’évidence, n’est rien d’autre que le pays du boulot.
La preuve, la cause n’est pas uniquement défendue par l’UDC: en Argovie, l’impulsion est venue du PDC, et toute la droite l’a soutenue contre la gauche et le Parti évangélique. Pourtant, le Parti suisse du travail est bien une formation d’extrême gauche, frange politique où l’on aime encore s’adresser aux gens en les traitant de travailleuses et travailleurs.
Notons à cet égard qu’une des définitions les plus méprisantes du travail – «une aberration de castor à queue plate» – est l’œuvre de l’écrivain Alexandre Vialatte qui était politiquement d’un conservatisme plus que marqué.
Non le travail est décidément au-dessus de la mêlée et c’est ce que semblent vouloir nous rappeler les Argoviens. Peu importe qui tu es, d’où tu viens, pourquoi tu es là, une seule chose compte, cher aspirant suisse: que tu bosses.
Bien sûr dans le projet argovien il n’était pas question de travail mais seulement d’aide sociale. Il n’est donc pas tout à fait exact que le travail soit la seule valeur reconnue. Il en existe bien une autre. Ne pas toucher d’aide sociale signifie en effet soit que l’on travaille, soit plus simplement que l’on est assez riche pour à la fois ne rien faire et ne rien demander.
Mais ce n’est pas là une spécificité helvétique. Chacun le sait, le riche est le bienvenu partout et quand il ne l’est pas, il a les moyens d’aller voir ailleurs, y compris en se carapatant d’une geôle nippone.
On en revient donc au point de départ. Le travail est bien l’alpha et l’oméga de la Suisse. À ce propos, l’argument le plus frappant contre le fait de lier le passeport à l’absence de perception d’aide sociale, a été lancé par une député argovienne du PDC: «Nous assimilons ainsi les bénéficiaires de l’aide sociale à des criminels. Les personnes qui ont commis une infraction doivent aussi attendre dix ans avant de pouvoir déposer une demande de naturalisation».
Voilà tout est dit: ne pas travailler équivaut en Suisse à rien de moins qu’un délit.