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Sharon et Arafat s’invitent dans la campagne

Les attaques du week-end contre des synagogues viennent agiter une campagne présidentielle sans vagues. Elles forcent les candidats à prendre position en matière de politique étrangère.

L’événement était attendu, prévisible même: le conflit judéo-arabe est en train d’investir la campagne électorale française. En ce week-end de Pâques, quatre villes importantes (Lyon, Marseille, Strasbourg et Toulouse) ont connu des attentats antijuifs, des attaques dirigées contre des synagogues.

    Parenthèse interrogative: j’utilise le terme «antijuif» parce que les agressions sont dirigées contre les lieux de culte de citoyens français de confession juive. Ces agressions sont provoquées par une réaction violente à la politique israélienne. Donc ils devraient être taxés d’antiisraéliens. Mais, en fonction de l’histoire européenne, ils sont aussi qualifiés d’antisémites, surtout par les sionistes qui tentent (on peut les comprendre) de récupérer la Shoah à leur profit politique. Le simple énoncé de ces trois interprétations possibles, qui ne recouvrent pas les mêmes réalités, explicite partiellement la complexité de la situation.

Cette irruption de la violence proche-orientale dans le ronron d’une campagne électorale présidentielle où chacun des deux challengers principaux fait son possible pour éviter la moindre vaguelette risque de faire vaciller les savants calculs des états-majors jospino-chiraquiens. En les contraignant de se prononcer sur des questions de politique étrangère.

Dire que la grandeur de la France n’est qu’un souvenir est un truisme. Surtout quand, comme nous Suisses français, confinés aux marges de la grandeur défunte, l’avons vue dégringoler. Admettre de surcroît que notre responsabilité pourrait être engagée par ce que notre régime politique fondé sur le consensus aurait servi de laboratoire est désespérant. Rien en effet ne ressemble plus à la cohabitation française que le consensus helvétique.Or nous avons eu le temps de mesurer ce que ce consensus, prétendument issu d’une formule magique, a de mortifère tant il étouffe les personnalités, la culture, les pulsions, les envies ou les révoltes d’un peuple. Les quarante dernières années de notre histoire en témoignent.

Que parmi ces quarante années, une des figures politiques les plus marquantes de notre pays soit un Jean-Pascal Delamuraz est hélas hautement emblématique. Dans le grotesque. Nous ne sommes même pas parvenus à sauver l’authentique vacherin du Mont-d’Or.

Depuis quinze ans, la France emboîte avec ténacité et décision le pas à notre dérive. La cohabitation n’est autre qu’une formule magique à la française. Une formule magique qui empêche tout débat, proscrit toute alternative au pouvoir dominant, formolise la pensée d’une nation qui, il y a deux siècles, dictait à l’univers la route à suivre.

Depuis quelques semaines, les médias français placés sous la dure contrainte de se frayer une voie vers le chaland, de se dégager des marchés sinon juteux du moins indispensables à leur survie, de vendre en somme la copie qu’ils pissent difficilement de conserve, font tout leur possible pour faire croire que la France n’est qu’hexagonale, qu’elle ne saurait avoir des intérêts hors de ses frontières, que les reliquats de présence française sur les autres continents appartiennent à une époque révolue.

Je suis un peu la campagne dans les médias. Jamais je n’ai vu un journaliste demander avec insistance et autorité à Chirac ou Jospin si la Turquie faisait partie ou non de l’Europe, si Berlusconi était un homme à qui ils confieraient leur fille pour ne serait-ce qu’une promenade dominicale, si le sort du franc CFA déterminant pour la vie quotidienne de millions d’Africains les concernaient. Si, entre Sharon et Arafat, leur cœur balançait. Si oui, pour qui?

Jamais Jospin ou Chirac n’ont osé, de leur propre chef, précéder ces questions.

Les victimes de Sharon et d’Arafat sont en train de les rappeler à la réalité. L’irruption de la guerre entre Israël et la Palestine dans les banlieues françaises les forcera à prendre position. Et, qui sait?, à redécouvrir que la France a un rôle international à jouer. Qu’à Ramallah ou Tel-Aviv, à Gaza ou Haïfa, Paris a une autre résonance que Vladivostok ou Santiago du Chili.