LATITUDES

Médicaments: syndrome du rayon vide

De plus en plus de produits thérapeutiques de base manquent en Suisse. Les hôpitaux doivent rationner, tandis que les malades s’exposent aux effets secondaires de traitements de substitution.

En avril dernier, l’association Parkinson Suisse alertait sur les difficultés d’approvisionnement de douze préparations médicales pour traiter cette maladie chronique. «L’indisponibilité des antiparkinsoniens, qui est à l’origine d’interruptions de plusieurs jours dans le traitement, peut être dangereuse pour les patients», s’inquiétait Stephan Bohlhalter, président du comité consultatif de l’association. Si des produits de remplacement restent disponibles, la substitution peut engendrer des effets secondaires nécessitant une hospitalisation.

Cette situation ne se limite pas aux antiparkinsoniens. Selon le site drugshortage.ch, une initiative du cabinet en planification pharmaceutique institutionnelle Martinelli Consulting, 553 médicaments rencontraient des difficultés d’approvisionnement en mai 2019. Parmi ceux-ci, des médicaments de première nécessité comme l’antibiotique Augmentin injectable ou le stylo d’injection d’adrénaline EpiPen, que les personnes allergiques aux abeilles ou aux crustacés devraient porter constamment sur elles. «Les ruptures de stock sont devenues un problème aigu, confirme la pharmacienne cantonale vaudoise Marie-Christine Grouzmann. Je reçois quotidiennement des mises à jour de l’Office fédéral de l’approvisionnement économique (OFAE), qui tient une liste de la disponibilité des médicaments jugés essentiels pour lesquels les fabricants sont tenus de conserver des stocks. Mais malgré ces mesures, les pharmaciens sont constamment en train de jongler avec ce qui est disponible.»

Une des causes de ces difficultés d’approvisionnement tient à la délocalisation des infrastructures de production. «Même si un médicament est vendu par plusieurs fabricants de génériques, il arrive souvent qu’une seule usine en Chine ou en Inde produise le principe actif. Il suffit que l’usine soit victime d’un incendie ou qu’elle soit déclarée non conforme lors d’un contrôle des autorités, et toute la chaîne de production s’effondre», explique Thierry Buclin, médecin-chef du Service de pharmacologie clinique du CHUV. Le modèle «toyotiste» avec ses flux tendus et ses stocks limités rend l’industrie vulnérable à ces incidents. Les pénuries concernent essentiellement des substances thérapeutiques de base, comme des chimiothérapies classiques, des vaccins ou des antibiotiques. «Les stratèges de la Pharma se préoccupent peu des vieilles molécules qui ne sont plus sous brevet, dont la production est délocalisée dans les pays où la main-d’œuvre est bon marché.»

La liste de l’OFAE demeure pour l’instant l’une des rares mesures mises en œuvre par les autorités. Une solution plus interventionniste défendue par les pharmaciens d’hôpitaux et certains politiciens serait de changer le rôle de la pharmacie de l’armée. «Cette unité qui fabrique des antidotes pourrait, à l’avenir, produire des antibiotiques et des médicaments qui n’intéressent pas l’industrie pharmaceutique sur le plan commercial», avance Marie-Christine Grouzmann. La conseillère nationale socialiste soleuroise Bea Heim milite pour la création d’une «pharmacie du peuple» sur le modèle suédois, qui serait formée d’un réseau composé de la pharmacie de l’armée et de PME spécialisées dans les génériques. «Le Conseil fédéral a indiqué qu’une modification de la loi en ce sens serait envisagée si les pénuries s’aggravaient. À mon avis, il ne faudrait pas tarder, car l’ensemble du processus législatif dure environ quatre ans et en parallèle, la concentration de la production s’accélère.» Il s’agira alors de surmonter au Parlement l’influence des lobbies pharmaceutiques qui cherchent à détricoter les lois contraignantes.

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Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans In Vivo magazine (no 18).

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