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Chaud devant

Le Conseil des États vote des mesures concrètes, et contraignantes, pour lutter contre le réchauffement climatique. Une sorte de franchissement du Rubicon qui pourrait se heurter à notre fierté à tous: la démocratie directe.

Cette fois, on y est donc: plus moyen de moyenner, comme on disait autrefois à l’ère glaciaire. La Suisse entend donc attaquer frontalement le désormais ennemi public numéro un, l’épouvantail mondial appelé réchauffement climatique.

Il semble en effet que l’alarmisme de plus en plus marqué des experts façon GIEC, les manifestations juvéniles un peu partout et les sermons onusiens de Greta-la-Peste aient durablement marqué les membres du Conseil des États, qu’on n’imaginait pas si impressionnables. C’est en effet sans opposition que les sénateurs ont voté l’entrée en matière d’une énième révision de la loi sur le CO2, balayée quelques mois plus tôt par le Conseil national.

Et pas pour rire, à entendre le lyrisme morbide que l’affaire a déclenché chez les parlementaires, à l’image du PLR Raphaël Comte: «Nos glaciers brûlent et nous les regardons fondre. Le noir du deuil va remplacer la blancheur ancestrale de nos montagnes». Bref il semble qu’on arrive à l’heure du basculement.

En Suisse, quand on se réveille, surtout si la léthargie a été longue, c’est pour faire mal. Et quel mal peut-on infliger dans ce pays qui a les valeurs qu’il a, et l’opulence qu’on lui connaît, sinon frapper au portefeuille? Certes, dira-t-on, l’usage de la taxe à tout-va représente le degré zéro de l’imagination politique. Mais cela tombe bien: l’heure n’est plus aux fantasmes mais à l’action. Simonetta Sommaruga n’était donc pas forcément obligée de jouer les jésuites en soutenant qu’il ne fallait pas parler ici de taxes, mais plutôt «d’incitations».

Donc taxons, se sont dit les élus, et franchissons l’effrayant Rubicon consistant à renchérir nos précieux loisirs en frappant d’impôts supplémentaires l’avion et la voiture, ce qui est autrement plus sérieux et douloureux qu’une invitation à trier ses déchets ou diminuer sa consommation de viande.

De 30 à 120 francs par vol, de 10 à 12 centimes par litres, on trouvera forcément, suivant sa sensibilité, son idéologie, que c’est trop ou trop peu. Avec en sus un relèvement de 120 à 210 francs la tonne du plafond de la taxe CO2 sur les combustibles, histoire «d’inciter» chacun à repenser de manière plus responsable, et coûteuse, son système de chauffage.

Ce qui est sûr, c’est que notre fierté à tous, notre inimitable démocratie directe, risque de virer au lourd handicap dans cette lutte contre l’hydre du CO2. Il est déjà en effet à peu près certain que ces mesures feront l’objet d’un référendum populaire. Les cantons de montagne, particulièrement prétérités, car plus dépendants de la voiture, se montrent dubitatifs et l’UDC est franchement contre, parce qu’elle a choisi de faire du climato-scepticisme un de ses provocants et juteux chevaux de bataille.

Certes, on a vu le peuple suisse refuser l’instauration d’un salaire minimum, une baisse du temps de travail, le revenu universel, preuve que le masochisme civique est une réalité sous nos latitudes et que les amères potions ont dans les urnes autant de chance que les gâteries démagogiques. Mais tout cela risque de prendre du temps, alors que le thermomètre, à chaque nouveau rapport du GIEC, semble monter d’un cran.

Ce que le vert Robert Cramer résume, avec sa sobriété habituelle: «Il faudra que l’administration, les milieux économiques et la population soient convaincus.» Autant dire que l’on n’a pas fini d’avoir chaud.