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Le football, ennemi du genre… humain

On en est donc à vouloir bannir les insultes stigmatisantes des stades, ou les buts des cours de récréation. Il faut dire que le sport roi est une cible idéale pour les nouveaux grands prêtres du Bien.

L’avenir est donc aux «balançoires biplaces», aux «jeux de cirque favorisant les duos» et même aux «diabolos» et aux «cerceaux». Dont acte. Surtout que cette évidence, cette forte certitude, cette vérité première a été «adoptée démocratiquement en conseil d’école». Et qu’elle répondait à un principe encore plus haut perché, encore plus incontestable, encore plus gravé dans les nouvelles et néanmoins fort sourcilleuses tables de la loi: «Mieux vivre ensemble à la lumière du genre.»

On dira, ce n’est que dans une seule école, ce n’est qu’à Genève, que cette décision de supprimer les buts de football dans la cour de récréation a été prise. Et que les arguments invoqués – le football occupe une place «énorme», «trop centrale», surtout quand le préau n’est pas grand, et exclut «les filles les plus fragiles» – peuvent s’entendre.

Certes. Passons sur le relent sexiste de cette expression directoriale – «les filles les plus fragiles» – comme s’il n’existait pas dans les cours d’école des garçons pas plus costauds. Oui passons et attardons-nous plutôt sur la vraie raison de cette sorte de mesure, d’ailleurs candidement avouée: la promotion de jeux «non genrés» au prétexte d’un retour constaté «des activités genrées, cloisonnées, dans le préau, par rapport à il y a quelques années». Il s’agit donc de rechasser un naturel évidemment revenu au dribble et au galop. Il semblerait, comme c’est étrange, que les enfants ne consultent pas les ouvrages des pédagogues, ni n’écoutent leurs pompeux sermons, avant de choisir les activités qui leur plaisent.

Bref que la lumière (du genre) soit. Que le soleil du Bien nous inonde tous platoniquement. Tant pis s’il tape un peu sur les crânes, pique les yeux au point d’enfanter des robots aveugles mais au langage châtié, polis jusqu’à la bêtise, mais fous de balançoires et fuyant comme la malaria toute expression pouvant exciter la vindicte offusquée et bavarde des nouveaux censeurs et autres arracheurs de poteaux.

Dans un délire victimaire global et à fleur de peau, le football se révèle un bouc émissaire parfait. Ne symbolise-t-il pas la virilité, la force, l’argent, la grossièreté brute, l’alcool à flots, l’insulte comme langue maternelle? Autant dire le dernier avatar, caricatural mais bien vivant, du patriarcat le plus buté. Tant pis si de plus en plus de filles pratiquent et adorent ce jeu-là, si la dernière Coupe du monde féminine a suscité un engouement planétaire, et largement féminisé. Tant pis si le ballon rond reste à ce jour le plus efficace des canaux d’intégration, le seul langage à peu près universel transcendant toutes les cultures, tous les particularismes.

Cela n’intéresse pas les théoriciennes et théoriciens du genre, incapables désormais de considérer sereinement le premier d’entre eux: le genre humain. Au point que voilà même les instances dirigeantes du contaminées. Comme la Ligue Française de Football, ayant décidé d’interrompre brièvement les matchs où s’entendraient des chants ou des propos homophobes.

Ça n’a pas raté: chaque match désormais ou presque du championnat français connait sa petite interruption, au premier «arbitre enculé!» tombant des tribunes. Bref on nage en pleine lubie aiguë. Et surtout on méconnaît grossièrement une fonction essentielle du stade: le défouloir, qui permet de se vider tête et poumons. Autant prévenir tous ces braves gens: un football sans insulte ça n’existe pas, ça n’existera jamais. À cette nuance que dans un stade, l’insulte est non seulement considérée comme naturelle mais jamais prise au sérieux, jamais à la lettre.

Vouloir, par simple, froide et livresque idéologie, améliorer l’être humain, le vouloir tel qu’il n’est pas, aboutit, l’histoire l’a montré, à des situations qui achèvent son humanité, même grossière. Comme les bûchers de l’Inquisition ou les goulags soviétiques.

C’est ce qu’avait déjà insinué le philosophe Karl Popper montrant que de l’Antiquité à nos jours, de Platon à Karl Marx, les ennemis des sociétés ouvertes avaient toujours été débordants de bonnes et pures intentions. N’hésitons pas à compter au rang de ces ennemis-là, celles et ceux qui prétendent dicter leur vocabulaire aux foules et aux enfants à quel jeu ils doivent jouer de préférence.