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Confuse et onirique UDC

L’affiche à la pomme véreuse suscite l’indignation jusque dans les rangs nationalistes. Alors qu’elle ne fait qu’illustrer on ne peut plus clairement la ligne paranoïaque du parti.

Adieu donc, gentils moutons. Salut, vers répugnants. La nouvelle affiche de l’UDC montrant des lombrics radicaux, socialistes, écolos, démocrates-chrétiens et européens en train de dévorer goulument une pomme estampillée suisse de chez Suisse a visiblement atteint son but: faire parler d’elle en suscitant un tollé très attendu, mécanique et à force pavlovien.

Avec l’inévitable rappel «aux heures sombres de notre histoire» documenté par une floraison, sur les réseaux sociaux, d’affiches nazies elles aussi déjà très vermiphobes. Bien sûr. Sauf qu’il s’agit d’un classique de la propagande politique, dont la gauche soviétophile, durant la guerre froide, abusa également pour assimiler l’ennemi – notamment américain – à tout un bestiaire visqueux: pieuvres démesurées, serpents baveux, araignées velues et on en passe.

Plus intéressante, la piste ouverte par le journaliste Éric Felley sur le site du Matin, convoquant la notion psychiatrique de «zoopsies». Autrement dit, ces «hallucinations visuelles d’animaux répugnants ou dangereux», essentiellement nocturnes et que le patient subira «avec une grande anxiété». Et contre lesquelles «dans son agitation parfois extrême», il pourra «essayer de lutter».

Notons encore que ces troubles, selon la faculté, «s’observent essentiellement dans les états confuso-oniriques, surtout dans le delirium tremens et les psychoses alcooliques suraigües». Comme il n’y a aucune raison de soupçonner que les membres et dirigeants de l’UDC aient le monopole d’une consommation excessive de boissons fermentées, il faudra bien se contenter, en guise d’hypothèse, de ces fameux «états confuso-oniriques».

Confuse et onirique, l’UDC? Disons que ce parti a toujours fonctionné, depuis du moins sa blochérisation au début des années 1990, en mode binaire et légèrement paranoïaque, pour ne pas dire complotiste. Avec la conviction qu’il ne saurait y avoir d’autres patriotes que ses propres encartés, tout adversaire politique de l’UDC étant de facto assimilé à adversaire sans merci de la Suisse.

L’UDC s’est toujours voulue seule contre tous. Seule face à des menées et des menaces aussi diverses qu’elle-même se prétend unique. Ses ennemis sont considérés comme innombrables. Il y a ceux de l’extérieur d’abord, d’au moins deux sortes. Les hordes aux mains basanées, à pelage noir, premièrement, tous portraiturés en sinistres parasites et/ou sombres trafiquants. La clique, deuxièmement, mieux mise, plus blanche mais sans doute plus sournoise des technocrates européens. Deux castes que l’UDC soupçonne en permanence de vouloir profiter de l’eldorado confédéral jusqu’à le vider de sa substance.

Quant aux ennemis de l’intérieur, ils sont plus facilement identifiables, puisqu’ils regroupent la vaste cohorte de tous ceux qui ne pensent pas comme l’UDC. Tous accusés des deux pires péchés capitaux selon le catéchisme blochérien: l’immigrationisme galopant et l’europhilie aigüe. Deux penchants malfaisants qui se rient sans vergogne du saint Graal tel que se l’imagine l’UDC: la frontière nationale, indépassable horizon.

Ce complotisme de tous les instants parait fonctionner en s’abreuvant à deux sources dont il reste à déterminer les parts réciproques: la pure stratégie électorale et la conviction profonde. La fameuse affiche à la pomme véreuse dit tout cela de façon limpide. Elle correspond parfaitement à ce qu’assène à longueur d’année les têtes pensantes de l’UDC.

Ils ont donc bien tort, ces élus de la maison blochérienne qui tout à coup se sentent gênés par tant d’audace et de si vilaines bestioles. Tel conseiller national Thomas Hurter qui trouve l’affiche «à côté de la plaque et insensible». Ou encore le député Claudio Zanetti qui interroge sa direction: «Qu’attendez-vous de ces images indescriptibles? Qui devrait nous prendre au sérieux?» Le conseiller national Jean Pierre Grin, aussi, qui dit trouver le message «un peu choquant». La vérité est que cette affiche qui rebute certains UDC n’est rien d’autre qu’un miroir qui leur est tendu.