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La tentation du dérapage

À l’image d’un Claude Béglé ou d’une Tamy Glauser, les sorties de route pourraient s’avérer nombreuses lors des prochaines élections fédérales. Les coupables sont tout désignés.

Ça commence fort. La campagne pour les élections fédérales d’octobre prochain n’en est encore qu’à ses balbutiements, mais déjà ça se lâche dans tous les coins et ça dérape à qui mieux mieux.

La notion de dérapage, il est vrai, tend à s’élargir un peu chaque jour davantage, ne serait-ce que pour nourrir les innombrables et grouillants vers solitaires des réseaux sociaux. Le moindre pet de travers se transforme fissa en tonnerre de Brest. Au point que bientôt la seule manière d’éviter les sorties de route sera de se murer dans un silence obtus et lugubre

Mais quand même. Il est spectaculaire de voir à quel point gaffeurs et gaffeuses en lice pour un strapontin au parlement ne semblent plus capables de freiner la machine à carabistouilles.

Prenez Tamy Glauser. Qui? Peut-être pas une star cinq étoiles en Romandie, mais plutôt honorablement connue en Suisse alémanique. Être top-modèle et en couple avec une ex Miss suisse, cela aide évidemment à la notoriété. Surtout en y ajoutant une bonne dose de défense acharnée de l’environnement et des droits LGBT.

Bref la candidature de Tamy Glauser sur une liste des Verts zurichois, s’annonçait sous les plus riants auspices. Et puis pataras. Naturellement végétalienne, Tamy s’est laissée quelque peu emporter par la force de ses conviction, allant jusqu’à affirmer sur Instagram que le sang des véganes pouvait tuer des cellules cancéreuses.

Le tollé fut à la hauteur de la bourde, à la grande surprise de l’intéressée qui reconnaissait n’avoir pas «anticipé» l’avalanche de réactions: «Cela m’a blessée et m’a montré où étaient mes limites.»

Ni une ni deux, c’est sur Twitter que la top-modèle s’excusera pour des considérations qu’elle reconnaissait n’être pas franchement «scientifiques». Avant d’annoncer le retrait de sa candidature au Conseil national. Son parti visiblement ne lui en veut pas, si l’on en croit la présidente de la section zurichoise, Marionna Schlatter: «Tamy Glauser a enrichi la liste des Verts». En donnant son sang?

Trêve de persiflage. Tamy a au moins l’excuse d’être une néophyte. Ce que ne peut pas revendiquer l’inénarrable ex-directeur de la Poste, Claude Béglé, candidat à sa réélection sur la liste du PDC vaudois. Impossible non plus d’invoquer un crasse parti pris idéologique, comme pour un vulgaire Sartre de retour d’URSS en 1954, et déclarant qu’à son avis le citoyen soviétique possédait «une entière liberté de critique». D’autant que Béglé affirme ne rien regretter ou «presque» des tweets enthousiastes qu’il a balancés lors de son périple-nord-coréen, suivis d’une louche sur Facebook.

Il semble en réalité que Claude Béglé ait cédé à une manie bien vaudoise: être déçu en bien. «Ça marche bien mieux qu’on pourrait l’imaginer», s’enflamme-t-il. Ou encore: «Ils sont plus décontractés que je ne l’avais imaginé: ils aiment s’amuser et boire des bières dans des estaminets enfumés.»

C’est vrai ça, on s’imagine des choses, et puis finalement ce n’est pas l’apocalypse prévue. En fermant bien les yeux, surtout devant une bière dégustée au fond d’un estaminet enfumé, on en arriverait presque à dénicher chez ces satanés Nord-coréens, des qualités pas loin d’être suisses: «Tout le monde est à l’œuvre et semble avoir le goût du travail bien fait.» Avec cette conséquence imparable: «Les gens ne vivent pas si mal que ça.»

Là aussi le tollé a été mémorable, mais contrairement à la top-modèle zurichoise, Béglé ne voit pas où serait le problème et le PDC suisse lui a confirmé sa confiance comme candidat au Conseil national.

Ces deux mésaventures mettent en évidence le redoutable et paradoxal effet double lame des réseaux sociaux: créer la tentation en offrant l’espace où fauter, puis prononcer la sentence. Complices, puis bourreaux.

Surtout – et la campagne à venir le montrera sans doute jusqu’à plus soif – qu’il n’y a rien de plus facile, de plus agréable et de plus valorisant que de ne croire et de ne voir que ce que l’on a envie de voir et de croire.