Pilier de l’économie suisse, le secteur bancaire a plusieurs fois failli s’écrouler ces trois dernières décennies. Malgré une succession de crises et l’abandon du secret bancaire, la place financière est parvenue à se relever, au prix d’une importante transformation.
Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans PME Magazine.
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Le secteur bancaire a vécu les trente dernières années comme un boxeur acculé au coin du ring. Fonds en déshérence, crise des subprimes, fin du secret bancaire ou encore sauvetage de l’UBS… autant de directs et de crochets qui ont laissé des traces: ces dix dernières années, environ 80 établissements bancaires ont disparu en Suisse et près de 8000 emplois ont été supprimés, selon les données du Département fédéral des finances. Dans le même temps, la contribution de la place financière au PIB suisse est passée de 11,1% à 9,1%. Malgré les coups, la place financière a cependant toujours su se relever. «Les crises ont engendré une transformation de l’industrie qui a su s’adapter et se renouveler en développant de nouvelles compétences lui permettant de continuer à servir sa clientèle, explique Patrick Odier, Associé-Senior de la banque privée Lombard Odier. Aujourd’hui, le secteur bancaire est devenu plus fort encore.»
1. Des fonds en déshérence à la crise des subprimes
«Les crises liées au secret bancaire et aux subprimes prennent leur source à la fin des années 1980», rappelle Sergio Rossi, directeur de la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire de l’Université de Fribourg. La crise de 1989 a marqué le point de départ de l’évolution du secteur: l’ouverture des marchés de capitaux, la déréglementation financière ainsi que l’apparition des produits dérivés et structurés vont contribuer au développement des activités de gestion d’actifs. «Les banques universelles, dont l’UBS, nouvellement créée, s’éloignent de l’économie réelle et du crédit.»
En décembre 1998, la Suisse se félicite de la fusion entre l’Union de Banques Suisses (UBS) et la Société de Banque Suisse (SBS), qui aboutira à la naissance d’une nouvelle UBS, numéro deux mondial par le volume d’actifs sous gestion et numéro un en gestion de fortune. A peine créé, ce mastodonte acceptera, avec Credit Suisse, de verser 1,25 milliard de dollars pour régler l’affaire des comptes en déshérence. «Cet épisode ouvre une brèche dans le secret bancaire suisse et ne refroidit pas les ardeurs des deux grandes banques, qui se risquent encore sur des terrains opaques», explique Sergio Rossi.
Le 15 septembre 2008, la bulle des subprimes, des prêts hypothécaires à risque, explose aux Etats-Unis et provoque la faillite de Lehman Brothers. UBS et Credit Suisse figurent parmi les établissements étrangers les plus exposés. «Les autorités agissent alors vite en menant un plan de sauvetage rapide, raconte Patrick Odier. Parallèlement, elles mettent en place un nouveau cadre législatif qui sera repris au niveau international pour encadrer et limiter les dérives découlant de prise de risques exagérées au niveau des bilans des entreprises et des modes de rémunération.»
2. La fin du secret bancaire
Face à une situation macroéconomique tendue, les pays cherchent partout des sources de revenus supplémentaires. Les regards se tournent alors vers la Suisse et son secret bancaire. Sous la pression des Etats-Unis entre autres, les autorités helvétiques tentent de faire valoir la différence entre évasion et fraude fiscale. Mais cette particularité convainc peu. Le 13 mars 2009, le Conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz annonce la fin du secret bancaire.
«Cet événement a créé un profond malaise au sein de la place financière, se souvient Jean-Pierre Danthine, ancien vice-président de la Banque nationale suisse (BNS). A terme, cette évolution était inéluctable. L’abandon du secret bancaire a entraîné les banques et les autorités vers une meilleure transparence.» Après l’échec du projet «Rubik», visant à prélever un impôt sur les avoirs étrangers sans dévoiler le nom de leur propriétaire, une Suisse résignée adopte l’échange automatique de renseignements (EAR), entré en vigueur à l’automne 2018.
3. L’essor de la finance en ligne
En 1997, Credit Suisse développe la première application du secteur. La digitalisation du secteur offre également l’opportunité à de nouveaux acteurs de s’implanter comme la banque en ligne Swissquote, fondée en 2000.
La tendance s’est fortement accélérée avec l’avènement des smartphones. Aujourd’hui, la population peut payer uniquement avec son mobile via Twint, voire-même ouvrir un compte bancaire en ligne et sans frais avec l’application Zak de la banque Cler. «La finance en ligne est une évolution majeure du secteur, poursuit Jean-Pierre Danthine. Ces néo-banques forcent les acteurs bien établis à repenser leur modèle.»
La question des cryptomonnaies divise les experts. «Une monnaie qu’elle soit digitale ou réelle doit reposer sur des fondamentaux macroéconomiques, dit Patrick Odier, comme des taux d’intérêts ou des stocks de métaux, par exemple. Dans le cas contraire, elle n’est qu’un instrument de spéculation.» En effet, en janvier 2018, la capitalisation boursière de l’ensemble des devises numériques dépassait 800 milliards de dollars pour n’atteindre plus que 100 milliards de dollars un an plus tard. De l’avis du professeur Sergio Rossi, il s’agit tout de même d’une évolution logique du secteur bancaire. «Il y aura rapidement une concentration des cryptomonnaies et ensuite, elles seront liées à une banque centrale numérique. A terme, la finance dématérialisée prévaudra.»
4. La révolution blockchain
Contrairement à la cryptomonnaie, la technologie des registres numériques distribués et décentralisés ou blockchain suscite l’enthousiasme des acteurs financiers. «Même si son impact est encore peu perceptible, c’est une véritable révolution technologique», se réjouit François Savary, responsable des investissements de la société de gestion de fortune Prime Partners. Pour sa part, Patrick Odier imagine déjà les contours des transactions du futur avec une vitesse d’exécution augmentée, des coûts diminués et une sécurité renforcée. «Tous les titres financiers pourraient être alors hébergés sur des plateformes sécurisées. La technologie de la blockchain permettant ainsi de stocker tous les actifs digitaux.»
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253
Le nombre de banques en Suisse en 2017.
93’556
Le nombre total d’employés bancaires en Suisse en 2017.
4.8%
La part des activités financières dans le PIB suisse en 2018.
25%
La part des actifs sous gestion transfrontalière dans le monde gérés depuis la Suisse.
23
Le nombre de succursales de banques étrangères établies en Suisse.
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Le secteur financier en 2049
Se projeter dans un domaine autant exposé aux crises sociétales et économiques est évidemment risqué. De l’avis de François Savary, de Prime Partners, les établissements bancaires vont continuer de fusionner, donnant naissance à des superstructures. «J’imagine qu’il y aura de moins en moins d’intermédiaires financiers. Même si en l’état, il s’agit de science-fiction, on peut toutefois envisager, à terme, que seules les banques centrales subsisteront au sein desquelles tout le monde aura un compte. Il n’y aurait, dès lors, plus de banques cantonales.» L’économiste Sergio Rossi partage ce point de vue, tout en mettant en exergue le rôle crucial des banques régionales. «Elles se maintiendront, et leur rôle sera renforcé auprès des petites entreprises locales. Elles vont progressivement délaisser les marchés financiers et se concentrer uniquement sur le crédit.»