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Du «Cri» à «Scream», le visage de l’épouvante

Aucune image n’exprime aussi bien le climat de peur de cette fin d’année. La toile de Munch, recyclée par le cinéma d’horreur et par Halloween, est plus effrayante que jamais. On regarde ce «Cri» et on se demande qui l’a poussé.

Dans un coin de la vitrine de mon Charity Shop préféré, un objet a retenu mon attention entre vases de Chine et vieux training: un ballon gonflable représentant un homme habillé de noir, la bouche grande ouverte, les yeux exorbités et les deux mains sur les tempes.

«Ça? Halloween est passé, je vous le fais trois livres», m’a dit le vendeur. C’était encore trop cher pour une grossière reproduction en caoutchouc du fameux «Cri» d’Edvard Munch (Natjonalgalleriet, Oslo). Mais c’était un symbole.

Pour moi, aucun tableau n’illustre aussi bien le climat de peur qui s’est installé dans notre vie quotidienne depuis les attentats de New York. Au soir du 31 octobre, de nombreux adolescents ont sonné aux portes avec, sur leur visage, un masque en plastique blanc inspiré de la toile du Norvégien, sans toujours connaître le poids de sa signification. Halloween est passé mais la peur est restée, suspendue à l’inconnu comme «Le Cri» à son mystère.

Avant de se transformer en déguisement d’épouvante, la toile de Munch demeure l’une des œuvres essentielles de l’histoire de l’art. Elle est considérée comme la première œuvre du mouvement expressionniste. Ou plutôt, elle serait la première dramaturgie géniale de l’expressionnisme, née avant le mouvement. «Le Cri» a été achevé en 1893, quelques années avant la formation en Allemagne du groupe Die Brücke qui prolonge les intentions de Munch: la domination du tourment intérieur sur la recherche formelle.

C’est l’âme que Munch cherche à peindre, et le style est entièrement soumis à ses états. Dans «Le Cri», le paysage lui-même prend part à l’émotion. Derrière l’homme épouvanté au premier plan, le ciel, la mer et même le pont apparaissent sous de gros traits de pinceaux tempétueux. La couleur s’emballe et la construction en oublie les règles élémentaires de la perspective (le pont et la balustrade qui dominent la mer semblent projetés vers le ciel). «Au-dessus du fjord bleu-noir menaçaient des nuages rouges comme du sang et comme des langues de feu. Mes amis s’éloignaient et, seul, tremblant d’angoisse, je pris conscience du grand cri infini de la nature», écrivait Edvard Munch dans son journal.

Le mystère de ce tableau est d’autant plus persistant que personne ne sait vraiment ce que craint l’homme de Munch. En inventant le style de l’angoisse, l’artiste norvégien inaugure l’expression d’une atmosphère de malaise et de troubles qui précède la guerre de 1914-1918. Un cauchemar prémonitoire, une vision d’apocalypse fin de siècle.

A en croire la citation de l’artiste lui-même, c’est la nature qui est la source de l’angoisse, poussant le crieur à se retrancher dans son isolement. La détérioration des rapports de l’homme avec son environnement est un thème très tendance au tournant du siècle en Europe, notamment dans l’œuvre du Russe Kandinsky.

Mais Munch n’est pas qu’un exécutant des modes du temps. Il s’implique dans le tableau. Ce cri est le sien: les premières esquisses suivent de peu la mort de son père, qui ponctue une succession macabre de disparitions familiales. La mère du peintre est décédée alors qu’il avait cinq ans, sa sœur aînée avait été emportée par la tuberculose à 15 ans, et sa sœur cadette est diagnostiquée «mélancolique», cette «bile noire» qui caractérise les dépressifs depuis l’âge médiéval. Après «Le Cri», qui présente d’ailleurs un visage cadavérique, Munch a peint la Mort et l’Angoisse dans sa «Frise de la Vie».

«Le Cri» peut être aussi compris comme une révolte: il a été poussé dans une société scandinave conformiste, bourgeoise et puritaine, dont faisait justement partie le père de l’artiste. Depuis 1885, Munch fréquente les milieux anarchistes révolutionnaires de Christiania. L’un de ces deux hommes qui s’éloignent, là-bas sur le pont, tout au fond de la toile, pourrait bien être la figure du père.

Les interprétations psychologiques, métaphysiques et même politiques se sont succédées depuis cent huit ans autour du tableau. «Le Cri» intrigue aussi par son titre. Pourquoi Munch a-t-il privilégié la dimension sonore de l’angoisse, celle qui justement ne transparaît pas physiquement d’une toile? Pour le philosophe pillole cialis online, c’est la première fois qu’un artiste tentait de traduire une sonorité qui n’était pas une musique.

L’homme de Munch est entré dans la panoplie de Halloween après le succès de «Scream» (1996), le film de Wes Craven, qui présente pour la première fois la version populaire du Cri au cinéma. Un tueur en série se cache, pour commettre ses crimes, derrière un masque en plastique blanc qui reprend grossièrement les traits du crieur cadavérique. La parodie est a son tour parodiée dans «Scary Movie» de Keenen Ivory Wayans (2000). Le tueur au masque du «Cri» fume des joints avec ceux qu’il veut assassiner…

«Le Cri» est l’un des tableaux les plus reproduits et pastichés. Le visage de la peur selon Munch marque tellement les esprits que le 23 octobre dernier, un groupe d’archéologues japonais a cru découvrir l’ancêtre du Cri dans le sous-sol de Nagasaki: une statuette d’une dizaine de centimètres réalisée entre le IIIe et le IVe siècle, pendant la période appelée Yayoi au Japon: un visage ovale percé de deux gros trous pour les yeux et d’un autre plus grand pour la bouche. «La ressemblance est si frappante que nous avons décidé de l’appeler «Le Cri de l’homme Yayoi», a déclaré un responsable des fouilles. L’angoisse, désormais, est planétaire.