C’est une tendance forte de l’année 2001: le bas résille revient grillager les jambes. Mais comment suivre la mode sans passer pour une fille légère?
De loin, on dirait des bas noirs, de près, on discerne la résille. Les jambes ne sont pas voilées, elles sont grillagées. Elles ont troqué la transparence contre le quadrillage et se retrouvent prisonnières des bas, enfermées par une clôture de fils, nues derrière les barreaux.
Barrière ajourée sur la chair, le bas résille révèle la jambe autant qu’il l’interdit. Et cette captivité exhibée rappelle l’attitude provocante des danseuses de cancan, celles de «Moulin Rouge», à la fois offertes et dérobées au regard et au désir des hommes. Véritable trahison donc, pour les femmes, que de porter des résilles. Comment alors suivre la mode sans pour autant passer pour une fille légère?
Depuis qu’il est à la mode, le bas résille appelle les regards autrement. Il ne fait plus partie de la panoplie fétichiste, il est devenu un accessoire esthétique et ludique, comme s’en amuse l’appellation «Oh Les Filles» de la collection automne-hiver de Dim. En couleurs, à mailles fines ou larges, portés sur un bas opaque (le «deux-en-un» de Fogal) ou avec des socquettes, il amuse, il surprend, il invite les commentaires.
Ainsi, et puisque tout se décline aujourd’hui en network (lire l’article de Geneviève Grimm-Gobat), pourquoi ne pas le voir lui aussi comme un réseau? Après tout, c’est son sens étymologique. Le bas résille est un nouveau système de communication, les barrières sont tombées, ne restent que les fils entrelacés comme autant de liens avec le monde, de rets tendus aux regards d’autrui. Un peu comme le Net, une toile sur laquelle on échange des propos.
Et c’est ainsi que, sur les chemins croisés des filles en bas résilles, j’ai engagé quelques conversations.
Celles qui en portent
Nicole, fin de la trentaine, achetait des croissants un dimanche matin dans une boulangerie de Carouge. Elle était vêtue d’un manteau noir et d’une jupe droite. Sa tenue était terminée par des escarpins noirs, fermés sur le devant. Un bas résille fin, noir également, couvrait ses jambes, du talon au genou. A ma question, Nicole a répondu en substance: «Je porte des bas résilles parce que la fantaisie peut aussi être élégante.»
Emma, plus jeune et plus extravertie, arpentait les Rues basses de Genève d’une démarche assurée. Elle portait une veste en cuir framboise, une jupe mi-longue en jeans, des baskets Adidas et des bas résilles rouges, à mailles larges. Inspiration Beaux-Arts ou influence punk? Avec un sourire, elle m’a avoué qu’elle ne savait pas trop comment définir son look: «Décontracté, original. Les bas résilles ne passent pas inaperçus. Et puis j’aime bien combiner les accessoires.»
Isabelle, très jolie fille d’une vingtaine d’année, traversait le Pont d’Arve à midi en combinaison de satin et bas résilles noirs. Sans la veste en jeans et les chaussures masculines qui complétaient son déshabillé, elle compromettait sa vertu. «Ma tenue n’est pas indécente, a-t-elle décrété. Etre sexy ne signifie pas forcément tomber dans la vulgarité. J’aime les contrastes. Tout se joue dans l’association des matières et des genres. Il faut oser.»
«Oser», c’est aussi l’attitude plébiscitée dans le catalogue Fogal de cet automne: «Des jambes à la mode. Avec une collection qui fait tourner les têtes. Tant de beauté exige un brin de courage. Le courage d’affirmer son individualité, d’oser le contraste et de se mettre en scène. En bref, le courage de redéfinir sa féminité.»
Celles qui n’en portent pas
Pourtant, les filles sont encore nombreuses, une grande majorité, à ne pas oser. Et toujours pour les mêmes raisons: «C’est vulgaire.» «C’est inutile.» «Ça ne file pas, mais ça ne tient pas chaud.» «C’est moche, surtout en couleur avec des grosses mailles.»
Ou encore: «Ce n’est pas mon genre», comme dirait ce collègue, marié, la quarantaine, précisant immédiatement d’un air plein de sous-entendus: «Je veux dire que moi, je n’en porterais pas… Tu comprends?» Et toc! Comme quoi, si les filles refusent encore d’emprisonner leurs jambes dans le carcan des bas résilles, les hommes, eux, aiment bien celles qui en portent. Canon ou cancan.