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Excédent, poil aux dents

Cela dure depuis 2007: la Confédération présente des comptes annuels plus juteux que prévu. Cette fois le boni frôle les trois milliards. Une anomalie qui fait débat.

La Suisse serait-elle une entreprise? Une grosse entreprise même, pour ne pas dire une multinationale insolente, du genre qui ne craint pas la crise. Un bénéfice, pardon, un «excédent ordinaire» de 2,9 milliards sur l’exercice 2018 cela ressemble en effet davantage aux chiffres d’une florissante compagnie pétrolière qu’à ceux d’un Etat au cœur d’une Europe à croissance molle.

Bien sûr le premier réflexe serait plutôt de dire «chapeau les artistes», de saluer ce si vertueux pays – même s’il en s’agit que d’une vertu purement comptable. Mais n’a-t-on pas, après tout, les perfections que l’on mérite?

Difficile pourtant de ne pas se laisser envahir par l’ombre d’un petit doute. Un tel excédent dans une comptabilité publique ne trahirait-il pas des recettes perçues indument,- en d’autres termes des impôts excessifs- ou des coupes inutilement assassines – autrement dit des économies peu glorieuses, une mentalité d’épicier, si pas de rapiat?

Il faut dire que les chiffres interpellent. C’est en effet un excédent de 300 millions qui avait été budgétisé. Au final on se retrouve avec presque dix fois plus et pour certains, dont les contribuables, un léger sentiment de s’être fait avoir. C’est en effet essentiellement du côté des recettes qu’il faut chercher l’explication: 2,2 milliards de plus que prévu.

Certes, une part l’explication est plus technique qu’idéologique: les demandes de remboursement de l’impôt anticipé ont été très inférieures aux prévisions. C’est ainsi 1,6 milliard de plus que budgétisé qu’a rapporté cet impôt. Essentiellement semble-t-il parce que ceux qui auraient droit au remboursement feraient traîner les choses pour échapper aux taux d’intérêts négatifs. C’est tout le savoureux paradoxe: plus de la moitié de l’excédent des comptes de la Confédération est dû à une stratégie finaude des contribuables.

L’autre grosse embellie est venue de l’impôt fédéral direct – 1 milliard de rab, surtout fourni par la taxation sur les bénéfices des entreprises. Là, on en tirera, selon son humeur et ses préjugés, deux sortes de conclusion. Soit que tout va bien dans le meilleur des mondes économiques possibles et qu’il serait peut-être temps de songer à la redistribution. Soit que l’État décidément se montre bien trop gourmand et qu’il serait de temps relâcher la pression sur nos valeureuses entreprises.

L’excédent 2018 tient aussi, dans une moindre mesure, à des dépenses qui ont été moins fortes qu’escomptées. Les deux postes principaux pourtant où ces économies ont été réalisées risquent de faire grincer quelques dents. 300 millions d’abord sur la sécurité, ce qui peut paraître un peu léger, voire désinvolte, dans un contexte global de lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité où la Suisse ne passe pas pour un aigle.

400 millions ont été également économisés sur la prévoyance sociale, un chiffre qui estomaquera sans doute les personnes en situation de précarité sévère. Que pour une bonne part, ces économies ont été rendues possibles par la baisse du nombre de demandes d’asile, risque de ne pas les consoler.

Le résultat de cette drôle de course est que la droite, globalement, s’autocongratule et fait miroiter une baisse de la pression fiscale n’engageant que ceux qui y croient. Et que la gauche crie à l’arnaque, ne voyant dans ces excédents budgétaires à répétition, tel le conseiller national PS Samuel Bendahan dans «24 heures», qu’une «volonté politique de freiner constamment les dépenses».

Le grand argentier Ueli Maurer rétorque qu’il préfère «annoncer un boni de 3 milliards plutôt qu’un déficit de 3 milliards». Difficile de lui donner tort bien sûr. Sauf que ne s’agit pas là d’un bilan d’entreprise mais du fonctionnement d’un Etat dont la tâche principale et la première raison d’exister, paraît-il, serait le service du citoyen.

Surtout que désormais la preuve est faite que la Suisse finalement n’a rien d’une entreprise: dans une entreprise les bénéfices sont pour une bonne part redistribués aux actionnaires.