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Le dilemme des défaitistes

L’accord-cadre avec l’Union Européenne se heurte à des considérations militantes et idéologiques qui ont gangrené jusqu’au Conseil fédéral.

Tiens, les europhiles se rebiffent. Inconsolables que l’accord-cadre avec l’UE, censé structurer une fois pour toute la voie bilatérale, reçoive un si piètre accueil politique, sans parler d’une sanction populaire quasi certaine. L’un nourrit d’ailleurs l’autre: c’est sans trop de vergogne que le politique invoque la sanction populaire inévitable pour discréditer d’entrée l’accord Mais un accord que personne ne défend plus, comment pourrait-il trouver une majorité dans les urnes?

Pourtant ils s’accrochent, les europhiles, ils veulent y croire encore, malgré les mécaniques roulées et les biscoteaux déployés de l’UE, à la manière du commissaire Moscovici en vadrouille au Forum économique de Davos: «La négociation sur le projet d’accord-cadre est terminée.» Autrement dit, signez ou allez-vous faire pendre ailleurs.

Alors ils se mettent soudain à penser, les europhiles, à avoir même des idées et des ambitions. À parler, comme la présidente de la commission de politique extérieure du Conseil national, la démocrate-chrétienne Elisabeth Schneider-Schneiter, de «créativité». La créativité, c’est comme l’altruisme, l’humour, la finesse, le génie ou la compassion: comment être contre? Sauf que se montrer créatif après le coup de gong et avec un couteau sous la gorge n’a jamais mené à d’inoubliables triomphes.

D’autant que cette créativité pour l’heure n’a accouché que d’une solution last-minute et low-cost, qui paraît flirter avec le ridicule: signer l’accord tout en disant haut et fort le mal qu’on en pense. Dans une déclaration solennelle qui pointerait toute une série de sérieuses réserves, et que certains espèrent même multilatérale, c’est-à-dire conjointe avec l’UE. Là ce n’est plus de la créativité, mais du rêve éveillé. Au mieux, l’UE ne moufterait pas, sachant bien qu’une telle déclaration n’a aucune valeur juridique. Au pire elle se fendrait d’une contre-déclaration.

Au-delà de ces réserves ponctuelles, concentrées surtout sur les mesures d’accompagnement prévues par la Suisse pour protéger le niveau des salaires et que l’UE récuse au motif qu’elles fausseraient la concurrence en pénalisant les entreprises européennes, ou encore un accès supposé trop rapide à la citoyenneté et aux prestations sociales pour les ressortissants de l’UE, c’est à une tendance lourde en Suisse que se heurte l’accord.

Avec un double coup de boutoir assené par l’UDC et le PS. Le nationalisme europhobe des uns et l’idéologie sociale figée des autres se retrouvent ensemble à peu près majoritaires tant au Conseil fédéral que devant le peuple. Comme souvent les deux marges du microcosme se contentent d’un refus sec et net sans proposer la moindre solution viable, ne laissant pour alternative que ce que la Dupont-Dupond du parlement, la susmentionnée Elisabeth Schneider-Schneiter, appelle «un champ de ruines».

Certes il faut bien reconnaître que la voie est plus qu’étroite. Qu’il n’y en a à peu près qu’une, qui nécessiterait non pas une douce et évanescente créativité, mais de la sueur et du boulot: signer l’accord et convaincre, dans une campagne de tous les instants et d’une pédagogie féroce, le peuple de le ratifier à son tour.

C’est la position que défend par exemple Pascal Couchepin, apportant une nouvelle preuve que les conseillers fédéraux ne sont jamais si bons qu’une fois mis à la retraite. Le vieux sage de Martigny fustige ainsi le défaitisme du collège gouvernemental: «Ils ont le sentiment qu’ils n’arriveront pas à obtenir une majorité politique en faveur de cet accord. Mais en est-on sûr? Pour savoir s’il y a majorité, il faut commencer par se battre.» Se battre? Quelle drôle d’idée!