LATITUDES

La chirurgie de l’obésité supplante les régimes

Face à l’obésité, l’approche chirurgicale ne cesse de progresser, avec des effets prouvés sur la perte de poids à long terme et les maladies connexes. Mais ces opérations restent complexes et ne doivent pas être banalisées.

En dépit des campagnes de prévention, l’obésité ne cesse de progresser dans le monde. Selon l’OMS, cette maladie se définit par des indices de masse corporelle (voir lexique) supérieurs à 30 kg/m2. Ce ne sont pas les facteurs esthétiques qui déterminent ce seuil, mais l’augmentation des risques liés à ces valeurs de développer des maladies associées – maladies cardio-vasculaires, diabète de type 2, cancers. L’obésité est donc une maladie grave qui nécessite une prise en charge médicale.

La diététique, l’activité physique, les médicaments et le travail sur le comportement des patients représentent de réelles solutions, mais le succès de ces méthodes est souvent limité dans le temps. Une autre approche obtient des résultats impressionnants: la chirurgie bariatrique ou chirurgie de l’obésité. En Suisse, cette spécialité n’a cessé de progresser au cours des dix dernières années, et, en 2017, ce sont environ 5’000 opérations bariatriques qui ont été réalisées, selon le Prof. Michel Suter, responsable de la chirurgie de l’obésité au CHUV et du centre bariatrique de l’Hôpital Riviera-Chablais. Si ces opérations se présentent aujourd’hui comme le seul moyen efficace pour traiter l’obésité à long terme, elles sont réservées aux personnes souffrant d’obésité sévère, c’est-à-dire d’un indice de masse corporelle qui dépasse les 35 kg/m2, et lorsque la prise en charge non chirurgicale s’est avérée inefficace sur une période totale de deux ans.

Outre leurs effets sur la perte de poids, ces opérations ont l’avantage d’avoir un impact sur les maladies associées. Lorsque le surpoids s’accompagne de diabète et de problèmes cardio-vasculaires, les spécialistes parlent alors de syndrome métabolique (voir lexique). Les patients au bénéfice d’une chirurgie voient ces comorbidités s’estomper. Cela est particulièrement vrai pour ceux qui souffrent d’un diabète de type 2 et qui peuvent espérer une rémission (voir encadré). François Pralong, endocrinologue et diabétologue à l’Hôpital de La Tour, à Meyrin, estime que c’est justement cette levée des maladies associées qui plaide en faveur de telles opérations, car «c’est bien l’association de l’obésité avec les cofacteurs qui augmente le risque de mortalité». Il ajoute toutefois que «beaucoup de bonnes raisons d’opérer des patients obèses existent, même sans comorbidité métabolique»; au nombre desquelles la qualité de vie, la santé mentale et surtout la prévention de complications médicales à venir.

Dévier et réduire

Les milieux médicaux savent depuis 50 ans que les manipulations chirurgicales qui visent à restreindre la taille de l’estomac ou à le court-circuiter ont un effet sur la perte de poids. «Historiquement, c’est l’expérience transmise par les ablations totales de l’estomac en cas de cancer (ndlr. oui, on peut survivre sans estomac) qui a montré cet effet sur la perte de poids», indique Pierre Fournier, chirurgien au CHUV et directeur du centre de l’obésité de l’Hôpital de Nyon. À partir de ce constat, les propositions chirurgicales ont évolué, allant de la pose d’un anneau gastrique, ou gastroplastie, à la gastrectomie longitudinale (ou sleeve gastrectomy), où les 4/5 de l’estomac sont retirés, en passant par la technique du bypass, qui consiste à dévier le flux des aliments en raccordant l’intestin directement à l’entrée de l’estomac. Actuellement, selon Michel Suter, le bypass gastrique et la sleeve gastrectomy représentent la quasi-totalité des opérations réalisées dans le monde. Lucie Favre, médecin associée et responsable de la consultation prévention et traitement de l’obésité au CHUV, précise toutefois que l’importance de la perte pondérale ne dépend pas uniquement du poids de départ ni de la technique chirurgicale. «Le comportement du patient est l’élément qui influera le plus à long terme sur l’importance de la réduction pondérale.»

Les régimes proscrits

Ôter une partie de l’estomac et modifier le circuit normal du tube digestif peut paraître risqué et démesuré par rapport à un simple régime. Sauf que les régimes impliquent des modifications de l’hygiène de vie constantes qui rendent le maintien de la perte pondérale sur le long terme peu probable, alors qu’avec la chirurgie bariatrique, cette perte est durable. Lucie Favre ajoute que, même s’il est possible de perdre beaucoup de poids avec un régime, «le corps lutte contre la perte pondérale comme s’il devait faire face à une famine». L’organisme perd du poids, puis en reprend donc derechef dès l’arrêt du régime. «En multipliant les régimes, le métabolisme se perturbe et les personnes doivent manger toujours moins pour maigrir.» Lors de chirurgies, la modification du tube digestif a également un effet sur la sollicitation des hormones anorexigènes et celles utiles pour le sentiment de satiété (voir encadré). Les signaux de famine sont contournés et les patients ne reprennent pas de poids.

Grâce à l’avènement de la laparoscopie, cette exploration des tissus sans incision, et de la pratique chirurgicale en centre d’expertise, ces techniques de chirurgie contemporaines sont devenues extrêmement sûres. Selon un article du chirurgien californien Ninh Nguyen, paru dans la revue Nature en 2017, le taux de mortalité chez les personnes obèses opérées ne serait que de 3‰ dans le monde. Néanmoins, même de manière marginale, des complications postopératoires peuvent intervenir.

Implications sur le long terme

Au-delà des risques liés à la chirurgie en elle-même, d’autres conséquences peuvent survenir. La plus gênante est la corrélation que des chercheurs canadiens ont tracée entre opération bariatrique et risque de suicide, lequel augmenterait de 50% chez les personnes opérées. «Les patients obèses sont souvent fragiles psychologiquement et prennent des traitements psychotropes. À la suite de la modification du système digestif, l’absorption de ces médicaments peut être perturbée et leur fonction peut devenir insuffisante. Il faut alors absolument adapter la posologie», précise Lucie Favre. À cela s’ajoute une augmentation de la dépendance à l’alcool. Celle-ci serait en partie expliquée par le fait que l’alcool
est très rapidement absorbé après une chirurgie bariatrique, évitant notamment les enzymes de l’estomac chargés de sa dégradation. Des carences en vitamines, des difficultés d’adaptation sociale dues au changement d’identité engendré par une perte de poids rapide nécessitent
un suivi médical. Les patients doivent par ailleurs faire face à des excès cutanés importants ‒ la chirurgie reconstructive n’étant pas souvent remboursée.

Enfin, les rares cas de reprise pondéraleproviennent du fait que certains patients adaptent leur prise alimentaire à la restriction de volume gastrique, par exemple en buvant plus de boissons caloriques ou en grignotant. Évidemment, cette chirurgie n’est proposée qu’à des patients souffrant d’obésité sévère. Néanmoins, abaisser les critères de poids pour traiter le syndrome métabolique pourrait être envisagé dans un avenir proche (voir encadré). La chirurgie de l’obésité est d’ailleurs désormais considérée par les spécialistes comme la chirurgie
du métabolisme.

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Lexique

Indice de masse corporelle (IMC): Il établit le rapport entre le poids et la taille d’un individu et est utilisé pour définir les catégories de poids. L’obésité débute à 30 kg/m2, devient sévère à 35 kg/m2, puis morbide dès 40 kg/m2.

Syndrome métabolique: Constellation d’anomalies cliniques et biologiques qui augmentent le risque cardio-vasculaire, parmi lesquelles: le tour de taille, le taux de sucre, le taux de graisse et la pression artérielle.

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Une épidémie galopante

En 2014, l’OMS rapportait que 600 millions d’adultes dans le monde étaient en situation d’obésité, avec un nombre de cas par habitant deux fois plus élevé que dans les années 1980. L’épidémie n’épargne pas la Suisse. En 2012, selon l’Enquête suisse sur la santé, 10% de la population était en situation d’obésité. Les projections les plus alarmistes prévoient une augmentation du nombre de cas de 26% d’ici à 2040, soit près de 140’000 personnes obèses dans le canton de Vaud, selon une étude publiée dans la Revue médicale suisse. «Un combat éducatif pour que les comportements évoluent doit être mené», indique le chirurgien bariatrique Pierre Fournier. «Les pratiques de l’industrie alimentaire devront également changer, car nous vivons dans un environnement fait de tentations», rappelle Lucie Favre.

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Le diabète traité par chirurgie

La perte de poids après une chirurgie bariatrique est corrélée à une amélioration du diabète et surtout, à une prolongation de l’espérance de vie. Bien que la recherche tâtonne pour expliquer ce phénomène, des pistes sérieuses existent. Luc Tappy, professeur de physiologie à l’UNIL, rappelle que le bypass fait passer les aliments directement dans l’intestin, sans contrôle de la vidange gastrique. «On sait que la sécrétion d’hormones ne se fait pas de manière homogène tout au long du tube digestif, mais de manière localisée. Des hormones avec des vertus anorexigènes (ndlr. coupe-faim) sont sécrétées près du site de jonction, dans l’intestin. À l’inverse, on évite la ghréline, l’hormone de l’appétit, que sécrète l’estomac», précise-t-il. Les personnes opérées auraient donc un sentiment de satiété précoce et moins d’appétit, moins de prise alimentaire. Différents mécanismes participent à cet impact majeur de la chirurgie sur le diabète de type 2, mais tous les éléments ne sont pas encore élucidés. Pour Lucie Favre, «il est cependant très enthousiasmant de pouvoir orienter certains patients vers une intervention qui leur permettra d’obtenir une rémission de leur diabète».

La voie chirurgicale permet aux diabétiques d’éviter régimes et traitements supplémentaires aux effets secondaires lourds. «Les sociétés médicales suisses concernées militent pour abaisser les critères d’accès à la chirurgie et contrer le diabète au plus tôt», conclut François Pralong.

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Une version de cet article est parue dans In Vivo magazine (no 16).

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