L’opération Moisson essentielle de l’OTAN en Macédoine s’ajoute à une liste d’appellations qui se prétendent aussi contrôlées que leurs offensives… Voici Gallaz .
Permettez que je vous enrichisse, en cette trente-cinquième semaine de l’an 2001, de deux informations capitales.
La première, c’est le début de l’opération «Moisson essentielle» grâce à laquelle l’OTAN, et plus concrètement 4500 soldats provenant de divers pays européens, devraient partiellement désarmer, en une trentaine de jours, l’Armée de libération nationale (l’UCK) des Albanais macédoniens.
Et pourquoi cette appellation merveilleuse, je vous demande, de «Moisson essentielle»? Parce qu’au sein des nations hautement civilisées (comme elles le sont toutes devenues dans le cadre extensif de l’empire américain), l’acte militaire s’inscrit dans un paysage mental bouleversé.
Jadis, une campagne de Russie s’appelait une campagne de Russie, et la bataille de Verdun s’appelait la bataille de Verdun. Un rapport simple, fondé notamment sur l’étymologie, attachait organiquement cette catégorie de termes à leur acception.
Puis un fantasme apparut aux alentours de la Seconde Guerre mondiale, tandis qu’advenaient de nouvelles techniques de télécommunication assorties de forts moyens de cryptage et de décryptage. Il incita les responsables d’opérations guerrières à dissimuler celles-ci sous des appellations de codes comportant régulièrement, mais qui s’en étonnera, le X des longs-métrages pornographiques.
Enfin, de la «Tempête du Désert» et de «Restore Hope» jusqu’à l’intervention présente de l’OTAN, nous avons basculé dans un autre système obsessionnel: c’est celui qui place la geste armée dans une perspective scoute.
Or qu’est-ce que c’est, le scoutisme? Ce n’est pas seulement cette activité collective aboutissant à superposer, au nom de n’importe quel Jules Tartempion, le pseudonyme champêtre de Truite joyeuse ou de Goupil attentif. C’est aussi la mise en œuvre d’un principe de non-violence, assorti d’un engouement systématique pour la fraternité, l’ensemble étant fondé sur des tonnes de bons sentiments provenant assez directement de la Bible.
Autrement dit l’acte militaire, selon l’optique américaine, n’a plus pour caractéristique principale d’être a priori destructeur. Il est principalement justicier, donc hautement moral – exactement, soit dit en passant, comme on le définirait aujourd’hui dans n’importe quelle république islamiste à peine intégriste. Faux-culs partout!
C’est pourquoi la seconde information capitale que j’annonçais tout à l’heure est beaucoup plus réjouissante. Elle a pour champ l’agriculture moderne, si j’ose dire, domaine dans lequel on essaie d’ajuster désormais les interventions humaines à la complexité donnée des terrains et des microclimats.
Et dans cet objectif, on vient de mettre au point des moissonneuses-batteuses équipées d’un récepteur GPS (Global Positioning System), et munies de capteurs de rendement. Les informations apportées par ces derniers et la localisation par satellite sont traitées par un ordinateur à la ferme, qui élabore une carte de rendement au moyen d’un logiciel spécialisé.
Dès lors la machine peut travailler de façon idéalement opportune. C’est ce qu’on appelle l’agriculture de précision, génératrice, enfin, de moissons essentielles bien-nommées. Dites, quand même, le froment, pour une fois: ça nous change un peu du Pentagone.