KAPITAL

Je me souviens de la folie.com à San Francisco

«Nous le savions: ça ne pouvait pas durer. Mais nous évitions d’y penser.» Martine Pagé, correspondante américaine de Largeur.com, évoque le boom et le crash de la nouvelle économie.

Le magazine américain The Industry Standard vient de cesser sa publication. Il était consacré au monde des nouvelles technologies et des entreprises.com. Lors de son lancement en 1998, il avait fait beaucoup de bruit en attirant des journalistes vedettes et en prenant le pari d’une parution hebdomadaire.

Pour de nombreux observateurs, cette fermeture symbolise l’agonie d’une économie débridée qui n’a jamais su se doter d’un plan d’affaires valable. Pour moi, l’affaire prend un ton plus personnel. La fermeture du Standard, c’est d’abord la perte d’un emploi pour un de mes amis san franciscain, jeune journaliste talentueux qui travaillait au magazine depuis ses débuts.

Devant tous ces licenciements qui ont frappé mon cercle de connaissances californiennes, devant les fermetures de compagnies et l’économie qui dégringole, je ne peux m’empêcher de me demander: que deviendra la ville de San Francisco que j’ai connue?

Originaire du Québec, je suis partie pour San Francisco en 1990 afin d’y compléter des études cinématographiques pour ce que je croyais être une durée d’un an. Je suis revenue au Québec huit ans plus tard, au moment où la vague pointcom atteignait son sommet.

En 1990, personne ne parlait du Web. En 1995 déjà, la majorité de mes camarades en classe de cinéma, moi y compris, étaient employés dans le domaine du multimédia, industrie plus lucrative que les films d’auteur. Bien sûr, on ne faisait ça qu’en attendant…

J’ai eu l’occasion de travailler pendant quatre ans au cœur de la Mecque du multimédia, à South Park, un petit square situé au sud du centre-ville de San Francisco, à 45 minutes de Silicon Valley. Aux alentours de ce parc étaient installés les magazines Wired, MacWorld, PC World et des dizaines de boîtes de production multimédia.

On y retrouvait au moins trois catégories de jeunes travailleurs de la nouvelle économie. D’abord il y avait les largest cialis dose, des fanatiques de l’informatique qui utilisaient internet bien avant que le mot ne soit connu. Il y avait les gens d’affaires, toujours en costume, qui s’occupaient de la vente et du marketing. Il y avait aussi les «liberal arts», les gens qui, comme moi, avaient étudié dans des domaines tels que la littérature, les sciences politiques ou la sociologie.

Chargés de projet, rédacteurs, apprentis programmeurs, nous nous retrouvions un peu parachutés hors de notre milieu naturel, coincés entre les discours technique des geeks et le langage plein d’optimisme et de néologismes des gens d’affaires. Lors des meetings mensuels, nous nous tenions à l’écart, près de la table du buffet, et nous tentions de contenir des fous rires lorsque ces deux types de discours se confrontaient.

«Edutainment», «Bottom-lining», «clickstreams», lançaient les uns. «Server side include», «XTML», «applet», argumentaient les autres.

On nous parlait de cette nouvelle économie avec un optimisme à toute épreuve. Au début, nous nous contentions de sourire, sceptiques. Peu importe que cette industrie survive ou non, nous avions bien l’intention d’en profiter. Dans quelle autre industrie une étudiante en littérature pouvait-elle se faire payer des voyages d’affaires à New York ou des visites d’une semaine dans des conventions à Las Vegas?

Durant la journée, nous jouions le jeu en travaillant et en accumulant les responsabilités. Nous commencions même à utiliser certains de ces affreux néologismes.

La nuit, nous faisions la fête. Les soirées pour le lancement des nouvelles compagnies étaient nombreuses et tout aussi extravagantes les unes que les autres. Ces soirées se voulaient très sélectes mais nous finissions toujours par obtenir une invitation pour tous nos amis. Le prix élevé de nos loyers était compensé par le fait que nous mangions et buvions aux frais de nos employeurs plusieurs soirs par semaine.

Nous le savions: ça ne pouvait pas durer. Mais nous évitions d’y penser. Notre génération post-boomer habituellement sacrifiée était enfin au bon endroit au bon moment.

Mais avec tout cet argent qui coulait à flots, la ville s’est mise à changer. D’un endroit accueillant pour tous et choisi par ceux qui avaient l’esprit bohême, San Francisco est devenu un lieu bourgeois. Dans la rue, les vélos et les énormes SUV (véhicules utilitaires) se faisaient la tadalafil oral jelly 20mg. De nombreux étudiants, artistes et familles ont été expropriés de leur logement, leurs maisons achetées à prix d’or par les nouveaux riches du high tech.

Un peu lasse de tout cela et séduite par une offre d’emploi au Québec, j’ai choisi de quitter San Francisco en 1998. J’allais me faire observatrice à distance de l’impact des nouvelles technologies sur ma ville d’adoption. Lors d’une visite à San Francisco un an plus tard, je n’ai plus reconnu mon ancien quartier, envahi par les nouveaux condos et les restaurants chics.

Le vent a tourné et les choses ont changé depuis. Un grand nombre de mes connaissances ont perdu leur emploi. Les plus chanceux d’entre eux ont obtenu une excellente prime de séparation et prennent maintenant un moment d’arrêt. Vous en croiserez peut-être sur votre chemin puisque la nouvelle tendance pour ces travailleurs fatigués est de passer leur année sabbatique en Europe. La technologie, après tout, n’était qu’un de leurs nombreux intérêts…

Les médias de la région s’inquiètent. Le San Jose Mercury News, le journal de Silicon Valley, consacre une partie de son site Web à la «cialis shipping», rassemblant des témoignages d’employés licenciés qui doivent modifier leur style de vie. Un travailleur du multimédia photographie tous les espaces de bureau à louer dans South Park, district autrefois très en demandé, et commente les clichés sur son site Web. Vivrait-on le déclin d’une grande ville américaine?

J’en doute sincèrement. San Francisco est au cœur de la mythologie américaine, mais elle y occupe une place bien à elle. Ceux qui y vivent n’ont souvent pas l’impression d’être véritablement aux États-Unis. De la ruée vers l’or au mouvement beatnik, en passant par les hippies, les yuppies et maintenant les dotcommers, la ville a été façonnée par tous ces courants qui lui ont donné sa réputation d’endroit «où tout le monde a envie de vivre».

Je suis donc d’accord avec Matt Welch, journaliste américain qui affirmait dans le Online Journalism Review: «Tant que San Francisco continuera à jouer son rôle de terre d’accueil pour ceux que le reste de l’Amérique rejette, on peut gager qu’un nouveau cycle de créativité et de passion verra le jour et attirera à nouveau l’attention du monde entier… Les gens du coin ont eu la piqûre de l’entrepreneur et n’en guériront pas. Ceux qui sont sans emploi aujourd’hui seront les employeurs de demain.»