Alice Vinteuil, coiffeuse, nous confie chaque semaine une chronique inspirée par les confidences de ses clients. Elle nous raconte aujourd’hui les vacances de ce couple qui voulait essayer le naturisme.
Depuis des années, Nicolas manifestait l’envie de passer des vacances dans un camp de naturistes. Il voyait dans cette philosophie de la nudité une manière simple de se réconcilier avec la nature et d’échapper aux conventions sociales.
Sa compagne Nathalie, qui était pudique et peu sûre d’elle, avait toujours décliné l’offre. Comment imaginer se balader toute nue parmi des inconnus alors qu’il lui était déjà tellement difficile d’aller chercher un Coca Light à la buvette de la plage? Chaque année, Nicolas revenait à la charge; chaque année Nathalie l’en dissuadait.
Pourtant, à force de refuser, et voulant sincèrement faire plaisir à Nicolas, Nathalie finit par céder. Ils choisirent un camp très select près de Saint-Raphaël.
Le premier jour fut une torture pour Nathalie. Elle n’avait pas imaginé une seconde que tout le monde serait nu au village Rousseau, de la réceptionniste au garçon de café, des femmes de ménage aux cuisiniers, et qu’elle-même le serait également du matin au soir.
Elle s’était représenté son séjour un peu comme dans «Le Gendarme à Saint-Tropez» ou dans «Mon curé chez les nudistes», plutôt ridicule, certes, mais bon enfant. Au lieu de cela, elle ne voyait que chairs molles, farandole disgracieuse de culs sans dignité et défilé grotesque de parties – c’est ainsi que sa mère, catholique fervente, lui avait appris à nommer les organes génitaux masculins.
Déprimée par tant de laideur, elle ne sortit pas de son bungalow pendant trois jours malgré les encouragements de Nicolas. Le quatrième matin, affamée par son jeûne volontaire, Nathalie alla faire des courses à l’épicerie, naturiste évidemment.
L’air conditionné du magasin hérissa ses poils tandis que les lumières au néon offraient à sa vue le spectacle de corps verdâtres et mal épilés tirant des chariots. Devant le rayon des produits laitiers, le tableau était encore plus terrifiant. Elle crut défaillir.
Le soir même, Nathalie annonçait à Nicolas sa décision de rentrer à la maison. Il lui demanda de rester encore deux jours, de ne faire que de la plage et de la natation, les deux activités qui exaltent le mieux le corps. Par amour pour lui, elle accepta de jouer les prolongations.
Fanfaronne, elle décida même de se rendre au restaurant en tenue d’Eve et de ne pas tourner la tête devant la nudité du maître d’hôtel, distingué des autres serveurs par un ruban violet dans les cheveux.
Elle passa l’épreuve avec vaillance, même si elle abandonna quasiment intactes dans l’assiette ses lasagnes végétariennes. L’image fulgurante qui lui avait traversé l’esprit – une queue trempée dans la béchamel – lui avait coupé l’appétit. Elle n’osa pas faire part de son impression à Nicolas qui l’eût trouvée vicieuse.
Les jours suivants furent différents des premiers. Nathalie commençait à se sentir bien dans sa peau. Elle jugeait même son corps très appétissant – ce qui objectivement était vrai. Elle prenait du plaisir à se promener nue, à ne plus se soucier du regard des autres et à regarder les vacanciers d’égal à égal.
Même le passage à l’épicerie devint source de divertissement: les seins en raisins de Corinthe de la caissière l’amusaient, les zizis fatigués chaloupant entre les rayons la faisaient rire et la peau d’orange de la plupart des fessiers l’attendrissaient. Avec Nicolas aussi elle changea d’attitude. Elle d’ordinaire si complexée ne quémandait plus ses compliments pour se sentir exister.
Nicolas, d’abord heureux de voir son amie affranchie de sa pudeur excessive, ressentit par la suite quelques pincements au cœur devant sa formidable décontraction.
Jalousie? Inquiétude? Dépit? Tristesse? Peur de découvrir quelqu’un de nouveau? Il n’avait pas prévu que les regards brillants, ou supposés brillants, de certains hommes sur le corps superbe de sa femme puissent lui faire autant de mal; pas prévu que Nathalie puisse lui échapper; pas prévu non plus que leur nudité obligatoire puisse faire écran à leur désir.
Depuis leur arrivée au camp, ils n’avaient plus fait l’amour. Le manque d’intimité commençait à lui peser. Il en fit part à Nathalie qui partit dans un immense éclat de rire: «Est bien pris qui croyait prendre! C’est toi, mon amour, qui voulais venir ici!»
Le lendemain, ils quittaient le camp Rousseau. Avant de remonter sur Yverdon, ils décidèrent de faire une halte à Saint-Tropez. Pendant l’après-midi, ils dévalisèrent les boutiques. Rien ne leur paraissait trop cher: ni les robes Kenzo, ni les costumes Paul Smith, et encore moins les sous-vêtements de luxe.
Ce soir là, ils dînèrent aux chandelles. Les yeux brillants, ils rejoignirent leur chambre recommandée par le guide des hôtels de charme.
Ils prirent un temps fou à se déshabiller mutuellement: chaque bouton de la robe de Nathalie valait un haïku, chaque partie de vêtements enlevés une déclaration d’amour; chaque parcelle de peau révélée un émoi sans pareil. Ils firent l’amour plusieurs fois et s’endormirent avant d’être totalement nus.