Alice Vinteuil, coiffeuse, nous livre ici sa chronique hebdomadaire inspirée des confidences de ses clients. Cette semaine elle se souvient de cet homme qui n’en pouvait plus de garder pour lui son infidélité subalterne…
Paul, trente-huit ans, travaille comme cadre dans une grande entreprise de voyages. Comme tous les hommes, il rosit de vanité quand il entend ses amis faire l’éloge de son épouse. Pour la majorité de ses copains et collègues, Juliette incarne en effet la femme idéale: belle, douce, sexy, compréhensive, fidèle.
En douze ans de mariage, il n’a jamais rien eu à lui reprocher. Non seulement il n’a jamais souffert par elle, mais elle a toujours su apaiser ses inquiétudes, le stimuler dans ses ambitions, l’encourager dans ses défis.
Paul est un homme comblé, pourtant c’est avec une autre qu’il se sent vivre pleinement; avec une autre qu’il éprouve les symptômes de la passion, ce mélange douloureux de joie et d’inquiétude, de désir et de jalousie.
Cette femme qui lui occupe l’esprit s’appelle Mathilde. C’est sa supérieure hiérarchique.
Objectivement, elle est moins attrayante que Juliette, plutôt ingrate même avec son nez massif et son léger strabisme. Dans l’entreprise, on la surnomme la Streisand, en raison de son autorité et de son égocentrisme.
Depuis treize mois, Paul vit avec elle une liaison tumultueuse. Personne ne le sait. Personne ne le croirait. Comment préférer un dragon à une biche? Paul lui-même ne l’aurait jamais imaginé.
Leur histoire a commencé lors d’un séminaire à Marseille, où Paul devait présenter sa nouvelle stratégie en matière de développement touristique en Afrique de l’ouest. Au terme de son exposé, devant un parterre d’une centaine de professionnels, Mathilde contesta un par un tous ses arguments.
Paul, rouge de honte, sentit ses jambes le quitter face à cette attaque en règle. Personne n’avait jamais osé le rabrouer ainsi! Le soir même, Mathilde l’invitait dans sa chambre.
En temps normal, il aurait poliment décliné l’offre. Mathilde n’était pas du tout son genre. Mais encore sous le coup de ce qui s’était produit, il pensa un peu naïvement pouvoir lui faire au lit ce qu’elle même avait osé lui faire publiquement: l’humilier.
Paul se trompait. Mathilde ne lui était pas seulement supérieure hiérarchiquement, elle était aussi experte en jeux érotiques. Son imagination était sans bornes. En une nuit, Paul apprit plus sur l’amour qu’en vingt ans de vie active.
Peu à peu, et à son corps défendant, il devint accro de cette femme méprisante et brillante qui le traitait sans égard mais savait le mettre à genoux au moindre clin d’oeil complice.
Paul avait honte de cette relation un peu sadomasochiste, honte de cette femme que ses collègues jugeaient «imbaisable», honte de mettre en péril son bonheur conjugal pour une aventure dont il savait déjà qu’elle se solderait par un cinglant échec, mais il ne pouvait pas faire autrement.
Mathilde l’attirait et le fascinait précisément parce qu’il ne pouvait pas la dominer. Juliette était tolérante avec lui; Mathilde ne lui passait rien. Avec Juliette, il se sentait naturellement viril; avec Mathilde, il faisait l’expérience de sa part féminine, comprenant tout à coup ce que les femmes avaient dû parfois endurer devant l’arbitraire d’un pouvoir jamais remis en cause.
Juliette lui disait toujours oui; Mathilde toujours non. Ses collègues se seraient moqués de lui s’ils avaient su jusqu’où Paul était capable d’aller pour satisfaire les caprices de son bourreau.
Qu’importe! Paul ne vivait pas en homme adultère, juste content de se désaltérer auprès d’une jolie maîtresse: il avait découvert les souffrances et les bonheurs de se sacrifier pour un maître.
A ma connaissance, Paul et Mathilde continuent de se voir en cachette. Mille fois, il a eu envie de rompre. Mille fois, il est revenu de son plein gré.