GLOCAL

Le triomphe de Siméon II et de ses jeunes requins

Plébiscité dimanche par les urnes, l’ancien roi promet de changer la Bulgarie en 800 jours. Les golden boys de la finance qu’il propulse au pouvoir parviendront-ils à redresser l’un des pays les plus misérables de l’ancien bloc de l’Est?

Sacrés Bulgares! On ne parle jamais d’eux dans la presse internationale et voilà que d’un coup, d’un seul, ils font la une dans le monde entier en manifestant leur originalité: une confiance aveugle en l’homme qui dans une autre vie devint leur roi à l’âge de 4 ans.

Siméon II fils de Boris il s’appela, Siméon II il s’appelle toujours puisque, dans la sagesse de ses neuf ans, il refusa d’abdiquer. Grand vainqueur des élections législatives de dimanche dernier, élections où il n’était d’ailleurs pas candidat, il a remporté 120 sièges sur 240.

Une voix lui manque pour la majorité absolue, voix qu’il aurait obtenue sans difficultés si de mauvais esprit n’avaient jugé bon de lancer des listes concurrentes à son nom, détournant ainsi environ 5% des suffrages.

Pour revenir au pouvoir, Siméon II a tout misé sur une infrastructure légère, un parti lancé il y a deux mois à peine, et un petit staff de collaborateurs choisis parmi les golden boys de l’émigration bulgare – économistes, financiers, boursicoteurs trentenaires recrutés entre Londres et New York.

Léger aussi le programme politique: Siméon II s’est borné à répéter qu’il se donnait 800 jours pour changer la Bulgarie. Un autre requin de haut vol, Silvio Berlusconi, qui lui s’est déjà frotté au pouvoir, revendiquait le même jour devant les sénateurs italiens dix ans pour changer l’Italie.

La démagogie de Siméon II a de profondes racines familiales: pour célébrer sa naissance en juin 1937, le roi Boris son père avait non seulement décrété l’habituelle amnistie pour les prisonniers mais aussi relevé toutes les notes des examens scolaires! C’est ce qui s’appelait miser sur la jeunesse!

En portant au pouvoir de jeunes requins de la finance, l’ex futur roi fait un pari que d’autres avant lui ont tenté en Pologne et en Serbie où des capitalistes venus d’outre-Atlantique ont fait une apparition très populaire au début, puis brutalement interrompue par l’inconstance d’un électorat plongé dans le désespoir dès qu’il réalisa la vanité de ses attentes.

La Bulgarie d’aujourd’hui compte parmi les plus misérables des anciens Etats socialistes européens. Les populations des campagnes – on ne peut parler de paysans pour des gens qui ne savent plus ce que c’est que de cultiver la terre – sont retournées à une économie de troc depuis plusieurs années. Un troc véritable d’où la monnaie est absente: on s’échange des services et des marchandises. La société s’étant complètement désintégrée après la secousse de la chute du communisme, c’est la corruption qui règne dans toutes les couches de la société.

Les méthodes ayant malgré tout changé, ne s’en sortent que les gens les plus aptes à s’adapter aux exigences de l’économie de marché: qualité du service ou de la marchandise, respect des devis et des délais, etc. Quoi qu’en disent les experts occidentaux, des virages mentaux de cette importance ne se prennent pas, à l’échelle d’un pays, du jour au lendemain. On peut s’en convaincre aujourd’hui en voyageant à l’Est: il faudra une ou deux générations pour qu’une norme s’installe, une culture nouvelle prenne le dessus. Je m’en suis fait la remarque aussi bien en Allemagne de l’Est qu’en Roumanie, en Ukraine ou en Bulgarie.

Il est certain que Siméon et ses boys vont accélérer les privatisations et fermer quelques industries déficitaires encore sur pied. Tant mieux: il y a des abcès à crever, mais il faut aussi prévenir les contrecoups et prévoir l’accompagnement social de ces mesures, ce qui n’entre certainement pas dans leurs priorités.

Mais quand ces nouveaux managers disent fonder leur stratégie sur les investissements qu’ils se font fort d’obtenir de l’étranger, ils mentent effrontément: ne sont-ils pas issu du coeur du système, justement là où les pays de l’Est tentent vainement depuis des années d’obtenir des lignes de crédits pour se moderniser? Pensent-ils réellement que les banques de Londres et New York vont changer leurs habitudes pour leurs beaux yeux?

L’Allemagne de l’Est a eu la chance de recevoir des investissements massifs depuis la chute du mur de Berlin, cela n’a pas suffi pour souder les deux Allemagnes pour autant (je le racontais ici l’an dernier).

C’est dire que, puisque la question de l’élargissement de l’Union européenne est toujours au programme, je ne crois pas plus à la réalité d’un élargissement en 2004 qu’aux 800 jours du bon futur ex roi Siméon II de Bulgarie.