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Vote sur l’armée: l’amateurisme publicitaire du Conseil fédéral

Après une campagne terriblement maladroite, le gouvernement a évité la catastrophe de justesse ce week-end. Il commence seulement à s’apercevoir que l’image joue un certain rôle en politique… A l’heure où Berlusconi prend ses fonctions à Rome!

Les membres du gouvernement ont des raisons d’être énervés: ils ont frôlé la catastrophe ce week-end. Et la météo agressive n’a certainement pas arrangé leur humeur. Dimanche, sous un ciel plombé, les réformes militaires qu’ils préconisaient ont été acceptées par le peuple, de justesse, à 51%.

Finalement, la Suisse pourra donc envoyer des soldats armés à l’étranger et coopérer avec ses voisins en matière d’instruction militaire. Mais le suspense a duré jusqu’au bout.

En début d’après-midi, au moment où les premiers cantons publiaient leurs résultats, on a pu croire que le «non» l’emporterait. On ne s’en étonnait même pas, tant la campagne du gouvernement avait été nulle. Ces dernières semaines, aucune image, aucune passion, aucun élan n’était venu soutenir ses arguments. Le niveau zéro de la communication politique.

Un amateurisme si spectaculaire que même le Conseil fédéral s’en est finalement aperçu. Dans la dernière ligne droite avant le scrutin, il a procédé à une autocritique, promettant qu’à l’avenir, il se donnerait les moyens financiers d’entrer vraiment en campagne (actuellement, le pauvre ne dispose pas de budget régulier pour faire connaître ses recommandations; les publicités par voie de presse ou d’affichage lui sont donc interdites).

A l’heure où Silvio Berlusconi prend ses fonctions en Italie, le gouvernement suisse commence seulement à s’apercevoir que la publicité joue un rôle en politique… C’est bien, mais c’est un peu tard. Et c’est un peu court.

Lors de cette campagne sur l’armement des soldats, on a beaucoup dit que les opposants avaient déployé des trésors d’ingéniosité publicitaire pour faire entendre leur voix. Au chapitre marketing, pourtant, la campagne de l’Asin (Association pour une Suisse indépendante et neutre) n’avait rien de moderne.

Les images de cimetières militaires, publiées à grand frais dans la presse, évoquaient davantage la propagande pataude des années 1920 que les techniques contemporaines de communication. Mais face à la maladresse des partisans du «oui», ces tombes ont occupé tout l’espace visuel et fantasmatique du débat.

C’est dans cet espace que les partis favorables aux réformes auraient dû se manifester. Ils auraient dû utiliser des images pour montrer, concrètement, que l’efficacité des soldats de la paix passait par leur armement. Les Suisses ont toujours considéré l’efficacité comme une de leurs vertus nationale. L’armement des corps en mission à l’étranger devait dès lors apparaître comme une formalité technique destinée à optimiser leur action.

Malgré sa neutralité et sa tradition pacifiste, la Suisse reste imprégnée de culture militaire (un fusil dans chaque foyer, et une arme mortelle, l’arbalète, comme symbole national). N’importe quel publicitaire dira qu’avec une tradition pareille, il n’était pas bien difficile de convaincre une majorité du peuple d’armer les soldats en mission à l’étranger, par souci d’efficacité. Les partisans du «oui» auraient dû jouer sur cette tradition, en débloquant de vrais budgets publicitaires et en utilisant des images. Combattre l’Asin sur son propre terrain.

Au lieu de cela, le gouvernement s’est emmêlé dans un argumentaire théorique, allant jusqu’à se plaindre des attaques de ses adversaires et des lettres anonymes reçues par le ministre de la Défense!

Après une campagne aussi maladroite, le résultat de la votation de dimanche fait figure de petit miracle. La question est maintenant de savoir si, dans une démocratie directe, le rôle du gouvernement est de s’offrir un arsenal publicitaire pour entrer directement en campagne. Ou s’il ne doit pas plutôt favoriser un financement équitable et transparent des partis.