LATITUDES

Partir à Londres pour découvrir Tracey Emin

L’artiste britannique la plus hype s’expose dans sa capitale. Une raison parmi beaucoup d’autres de s’y rendre ce printemps.

J’ai connu Tracey Emin sur les murs de la Tate Modern, lors d’une visite en solitaire. Au rayon «art intérieur» de la grande usine de Bankside, il est écrit qu’à 37 ans, elle est l’artiste britannique la plus «en vue» depuis David Hockney.

A la Tate du moins, elle se fait voir. «Curriculum vitae», l’une de ses vidéos exposées, raconte la vie de Tracey sous forme de journal intime. Une voix, la sienne, égrène ses fausses amours, ses tentatives de suicide, la mort de sa grand-mère. Les images balaient son appartement londonien sens dessus dessous, ses magazines, ses clopes, son quotidien.

La voix s’arrête sur le corps de la jeune femme, nue, recroquevillée dans la position du fœtus. Et sa mère, sur le canapé, indifférente, qui regarde la télé. C’est la cruauté d’Emin, sa vie qu’elle livre à tout le monde, comme ça, parce qu’elle sait que d’autres se reconnaîtront dans sa souffrance, dans ses joies et dans ses amours.

Tracey Emin m’a plu. Qu’elle soit devenue un pop star en Angleterre, qu’elle pose en Vivienne Westwood dans Vogue, qu’elle fasse voir sa silhouette glam rock dans toutes les soirées branchées et sur tous les tabloïds ne me choque pas. C’est un peu comme Pipilotti Rist, leur corps appartient à leur œuvre et l’exhibitionnisme fait partie du jeu artistique. L’art contemporain peut avoir ses vedettes, à condition qu’il y ait un peu de consistance sous la chair.

Au «White Cube 2» où Tracey Emin vient d’inaugurer sa première exposition personnelle depuis quatre ans, elle ne m’a pas déçue. Tout est montré ici pour secouer les bien-pensants. Mais le discours de l’écorchée vive contraste avec un emballage bien sage. Tracey Emin choisi par exemple la technique du patchwork pour coudre un texte cruel sur la mort d’un enfant et la douleur de sa mère, pour tisser ses relations conflictuelles avec la religion ou pour surpiquer un poème sur l’orgasme.

Elle construit un Concorde aux ailes cassées en papier mâché. Dessine des nus sur du papier buvard avec les ratures et les taches d’encre des écoliers. Exprime la douleur physique avec un bouteille d’Evian retournée à la manière d’un goutte-à-goutte. Au moyen des petits points de sa grand-mère, Tracey est capable de broder le mot FUCK avec la patience d’une dentellière.

Le petit espace d’exposition en retrait d’Old Street ne désemplit pas: des ados en bas de laine rouges et casquettes, des pères avec bébés ventraux, un groupe de Japonais interdits, des trentenaires avec l’air de ceux que rien n’étonne. Un public patient qui fait la queue devant une cabine de projection vidéo de Tracey Emin comme devant les WC publics un soir de concert. Une pop star, je vous dis. Les critiques sont élogieuses et la police des mœurs de Scotland Yard n’a pas encore trouvé matière à scandale. C’est que sous la jupe, Tracey a aussi une âme.

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«You Forgot to Kiss My Soul», Tracey Emin, White Cube 2, 48 Hoxton Square, N1, jusqu’au 26 mai.

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En plus:
«Bill Viola: Five Angels for the Millennium and Other New Works». Le vidéaste américain a choisi Londres pour présenter son nouveau travail sur les passions humaines. Encyclopédique et bouleversant.
Galerie Anthony d’Offay, 9,23 et 24 Dering Street, jusqu’au 21 juillet. Les œuvres antérieures de Bill Viola sont visibles sur le site du Musée d’art contemporain de San Francisco

La Grande-Bretagne fait de 2001 une année japonaise qui commence ce mois avec l’invasion de designers, créateurs de mode, plasticiens, dessinateurs de mangas et musiciens à tous les étages du grand magasin Selfridge’s, sur Oxford Street. Même si c’est du racolage, c’est instructif, amusant et bien fait.

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Et toujours…

«Cléopâtre d’Egypte. De l’histoire au mythe», British Museum, Londres, jusqu’au 26 août (www.thebritishmuseum.ac.uk)

Goldfrapp en concert. Le nouveau duo électronique à la mode descend de son Cervin imaginaire pour un concert à l’Union Chapel, N1, Compton Terrace. Le jeudi 17 mai est sold out. Concert supplémentaire le 18 mai. Réservations: + 44 20 7403 3331 ou sur GigsandTours.com.

«Bridget Jones’s Diary», un film de Sharon Maguire, avec Renée Zellweger dans le rôle de la «célibattante» londonienne, Hugh Grant dans celui de son prétendant, d’après les romans d’Helen Fielding. Pas un cinéma qui n’ait pas sa copie.

«My Fair Lady» revient dans une spectacle musical écrit par Alan Jay. Avec Martine McCutcheon dans le rôle d’Audrey Hepburn. A déménagé au Drury Lane Theatre Royal pour des représentations jusqu’au 21 juillet.
Réservations: + 44 207 494 5454.