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Le marketing politique a trouvé son Berlusconi de gauche

Beau gosse, d’une élégance irréprochable, Francesco Rutelli va tenter de battre Berlusconi sur son propre terrain. Il en a les moyens physiques et intellectuels, mais…

Dans un mois, les Italiens seront appelés à renouveler leur parlement. Alors que la scène politique italienne se caractérisait par une forte implication des citoyens, j’ai l’impression que cette fois-ci, ce n’est plus le cas.

Je viens de faire la tournée d’une demi-douzaine de villes du Nord sans remarquer d’autres signes extérieurs de la campagne électorale que quelques rares, très rares affiches berlusconiennes. En revanche, la presse écrite et la TV se font un plaisir de diluer les querelles parcourant les deux grandes coalitions en présence en maintenant le niveau du débat à son degré zéro. Comme si le fil reliant le peuple et le «palazzo», les élites politiques, s’était rompu. Je suis très curieux de connaître, au soir du 13 mai, le taux d’abstention. Je suis presque prêt à parier qu’il sera en chute libre par rapport à la moyenne.

Il faut dire que le spectacle offert par la IIe République est pitoyable. La mutation commencée il y a dix ans au moment de la disparition du parti communiste et de l’implosion de la démocratie-chétienne n’est pas achevée, loin de là – ne serait-ce que par la permanence de la corruption et de la mafia, par la crise de la magistrature et les scandales quasi quotidiens de la gestion des intérêts locaux.

Le maintien partiel d’une représentation proportionnelle a permis la survie de nombreux petits partis qui parasitent tant Forza Italia, le parti dominant de la droite, que les Démocrates de gauche (en gros, l’ex-PCI).

De surcroît, l’irruption sur la scène politique, il y a une dizaine d’années toujours, de Silvio Berlusconi a plus ou moins contraint les politiciens à l’imiter en remplaçant le discours, la force de proposition, par le recours permanent à l’image et au jeu télévisé. La scène où se produisent les politiciens italiens est télévisuelle, c’est celle des talk-shows où chacun fait semblant de discuter alors qu’il se contentent de caqueter en débitant des insignifiances, en multipliant les signes d’accointance et les sourires entendus.

Berlusconi répète, comme il l’avait fait en 1994, son OPA (offre publique d’achat) sur le pays. Propriétaire de trois chaînes de télévision, il se vend comme une poudre à lessive en recourant à un marketing agressif et complètement centré sur sa personne. Au point, il y a quelques jours, d’interdire à tous les candidats de sa coalition de faire figurer leur portrait sur leurs tracts et affiches! Mais, alors qu’il caracolait en tête des sondages depuis des mois avec une vingtaine de points d’avance sur la gauche, il vient tout à coup de chuter dans les sondages qui ne lui donnent plus que 14 points d’avance.

Cette chute ne doit rien au hasard: la gauche, en effet, a trouvé une savonnette de remplacement à proposer à l’électeur. Il s’agit du rutilant Francesco Rutelli, ancien maire de Rome. Beau gosse, d’une élégance irréprochable, Rutelli tente de battre Berlusconi sur son propre terrain: le marketing. Il en a les moyens physiques et intellectuels.

Si les capitaux à sa disposition ne sont pas comparables à ceux de son adversaire, l’homme le plus riche d’Italie, il peut compter sur les beaux restes de l’organisation communiste qui maillent encore le pays. Cette présence sur le terrain peut s’avérer déterminante.

A un mois du scrutin, la victoire de Berlusconi ne fait aucun doute. Mais des rebondissements imprévisibles sont possibles. Aux yeux de nombreux Européens, Umberto Bossi et Gianfranco Fini, les leaders de la Ligue du Nord et de l’Alliance nationale, sont aussi peu fréquentables que Jörg Haider. Berlusconi lui-même n’est pas un partisan fanatique de l’Union européenne.

Or si l’Italie a finalement peu changé au cours de cette dernière décennie, l’Europe, elle, est beaucoup plus présente politiquement. Cette réalité ne saurait échapper aux notables locaux qui sont encore à même de faire et défaire les députés, donc les majorités politiques.

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Gérard Delaloye, journaliste et historien, vit et travaille à Lausanne. Il tient une chronique hebdomadaire sur Largeur.com.