KAPITAL

La Suisse connaît une pénurie de mécatroniciens

En plus de la mécanique d’une voiture, ils maîtrisent aussi ses composants électroniques. Mais ces professionnels se font rare sur le marché de travail.

Une dizaine de voitures, souvent avec le capot ouvert, remplissent ce petit garage situé en plein cœur du quartier des Pâquis de Genève. Deux affichettes «recherche mécatronicien» sont collées sur la grande baie vitrée de l’enseigne. Car son propriétaire, Jean-François Pittier, 74 ans, veut trouver un repreneur pour pouvoir partir à la retraite. «Pendant les quatre dernières années, j’étais en négociation avec un chef d’atelier classique et un jeune mécatronicien. Mais au début de l’année, l’affaire a capoté», regrette-t-il. Depuis, plus rien.

Pourquoi cherche-t-il un mécatronicien plutôt qu’un mécanicien spécialisé? «Les voitures ont de plus et en plus de composants électroniques, explique Jean-François Pittier. Une Renault Mégane contient aujourd’hui jusqu’à 7 kilomètres de fils.» Les pannes concernent donc plus souvent l’électronique plutôt que la mécanique. Un exemple de réparation fréquente: le capteur de température du liquide de refroidissement, élément essentiel pour éviter la surchauffe du moteur. De plus, les véhicules contiennent toujours plus de composants informatiques. Ainsi, le processus qui mène du freinage à l’allumage des feux arrière n’est plus électrique, mais passe par deux ordinateurs installés dans la voiture.

Pour répondre à cette évolution, l’Union professionnelle suisse de l’automobile a créé le certificat fédéral de capacité (CFC) de mécatronicien de l’automobile en 2007. «Les apprentis doivent comprendre tout le réseau du bord qui gère les interactions entre les composants mécaniques, électroniques et informatiques. L’arrivée sur le marché des voitures électriques et hybrides rend ses connaissances encore davantage nécessaires», explique Philippe Poulin, responsable de la filière à l’Ecole des métiers de Lausanne.

Trouver la perle rare

Mais ce profil très pointu se fait plutôt rare en Suisse. Selon Romain Hofer, porte-parole de la société de recrutement Manpower, les entreprises ont beaucoup de mal à trouver des mécatroniciens. «Un de nos clients a 30 positions ouvertes. Poster des annonces ne suffit plus, il faut aller chercher les candidats en recherche passive. Pour nous, trouver un bon mécatronicien prend presque autant de ressources que de trouver un cadre.» Selon lui, deux facteurs expliquent ces difficultés: d’un côté, les garages et les concessionnaires cherchent d’abord des candidats qui ont de l’expérience avec des marques spécifiques. De l’autre côté, les mécatroniciens connaissent leur valeur sur le marché et sont donc moins enclins à accepter n’importe quel poste.

Samuel Lipinski, responsable du service après-vente chez Galati Centre Poids Lourds à Vernier (GE), confirme: «Il faut leur offrir un très bon salaire et surtout des possibilités de progression.» L’entreprise s’est spécialisée entre autres dans l’entretien de véhicules utilitaires et la mise en service de poids-lourds neufs. Dans ce domaine, il est encore plus difficile de trouver les bons profils: «Les mécatroniciens sont les seuls à pouvoir travailler avec les camions hybrides, de plus en plus courants. En revanche, peu de jeunes se spécialisent dans les poids-lourds», dit Samuel Lipinski. Conséquence: il se tourne vers des mécatroniciens d’automobiles qui doivent ensuite être formés pendant un à deux ans au sein de l’entreprise. Voire vers l’étranger: «Nous voulions embaucher cinq mécatroniciens cette année, mais faute de candidats en Suisse, nous avons aussi embauché des candidats venant de France.»

Pourtant, le nombre d’apprentis mécatroniciens est stable depuis l’inauguration de la filière, et oscille entre 600 et 800 par an en Suisse. Mais, selon Philippe Poulin, relativement peu d’entre eux sont tentés par de longues carrières en garage. «Soit ils continuent leur progression avec un brevet ou un diplôme fédéral, soit ils deviennent techniciens de maintenance en dehors de l’industrie automobile. Il faut savoir que le travail en garage est très dur, les fluctuations sont importantes. Cela a toujours été le cas.» Quant à Jean-François Pittier, il a abandonné la piste menant vers le mécatronicien. Il se contenterait aujourd’hui d’un mécanicien possédant de bonnes notions en électronique.

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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.