LATITUDES

L’amitié tient lieu de valeur refuge

Les couples se font et se défont toujours plus rapidement, le lien conjugual devient biodégradable… Restent les amis: «tout le monde en a». Réflexion amicale à l’occasion de la Saint Valentin.

Réservée jusqu’ici aux seuls amoureux, la Saint Valentin semble vouloir élargir sa clientèle-cible aux amis. L’évolution est déjà perceptible dans la pub. Voyez Migros qui propose à son rayon fleuriste des «terrines amitié» pour le 14 février, ou Publicitas qui vous invite à publier une annonce pour «exprimer toute votre affection et votre amour». Ou encore ces parfumeries qui ont opté pour le slogan «amour, amitié: pensez parfum pour la Saint Valentin».

Déjà mentionnée en 1381 dans «Les contes de Canterbury», la fête des amoureux s’était un peu étiolée au fil des siècles. A la Libération, elle a été remise au goût du jour par les Américains qui l’ont transformée en une affaire commerciale. Au point qu’aujourd’hui, deux tiers des Européens déclarent boycotter cette fête ringarde (sondage Observatoire de Thalys-BVA).

Le même sondage révèle toutefois que 49% des moins de 25 ans saisissent l’occasion pour déclarer leur flamme. Les messages amoureux passent par le Net ou les SMS. Certains internautes en mal d’inspiration auront peut-être visité www.amoureux.com ou www.legrandamour.com. Mais pas plus que la relation épistolaire, la relation électronique n’est garante de stabilité. Les statistiques nous rappellent que les couples se font et se défont à un rythme crescendo.

Et le lien conjugal? Avec l’allongement de l’espérance de vie, il devient «biodégradable» (expression empruntée à un spécialiste de la thérapie de couple, Jacques-Antoine Malarewicz, auteur de «Penser le couple» chez Laffont). Du coup, c’est l’amitié qui tient lieu de valeur refuge.

«Egalitaire, non sexuelle, exempte de fatalité, l’amitié est vue comme la forme de rapport à autrui qui exprime au mieux notre aspiration moderne à l’autonomie», écrit la philosophe Monique Canto-Sperber dans le numéro hors-série que le Nouvel Observateur vient de consacrer à «L’amitié, une nouvelle aventure».

«On en viendrait ainsi à la forme amicale de l’amour, apaisée, civilisée, émancipée de ses illusions, poursuit-elle. Ne serait-ce pas une des tentations occidentales majeures que de remplacer l’amour par l’amitié, assortie ou non de relations sexuelles?»

Cette question en appelle une autre: assistons-nous au retour de la «philia» d’Aristote? Divers travaux et sondages tendraient à accréditer une telle hypothèse. Un exemple parmi d’autres cialis american express du Québec: à la question «que trouvez-vous le plus important, l’amitié ou l’amour?», une majorité de jeunes répondent: l’amitié (66% chez les filles, 61 chez les garçons). Parmi les raisons invoquées: l’amitié est plus fiable, elle se brise moins facilement que l’amour, il s’y forme une plus grande complicité, les amis savent consoler…

La littérature et le cinéma témoignent de ce regain d’intérêt pour un sentiment longtemps jugé trop pépère pour retenir l’attention. Flairant cette mutation en cours, certains conseillers en marketing tentent aujourd’hui de concocter une Saint Valentin exaltant non seulement l’amour, mais aussi l’amitié. La fleuriste à qui j’ai demandé si ses arrangements «amitié» avaient du succès m’a répondu: «et comment!». De nombreux clients lui auraient fait part de leur satisfaction de ne plus se sentir exclus ce jour-là. «Des amis, tout le monde en a», commente-t-elle, apparemment satisfaite de cette formule qui contente sa caisse et sa clientèle.

Après l’exaltation du sexe dans les années 70, de l’argent dans les années 80, de l’égo dans les années 90, nous entrons peut-être dans la décennie de l’amitié. Amitié ou aimance? Cette dernière notion pourrait désigner«un au-delà de l’amour et de l’amitié, le signe d’une langue ou d’un idiome à venir», à inventer», écrit Abdelkébir Khatibi dans «Le don de l’aimance» (éditions Marsam).

Un nouveau mot pour cette amitié amoureuse ou de cet amour amical que la Saint Valentin célébrera peut-être demain.

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Des lectures sur le sujet:
Jacqueline Kelen, «Aimer d’amitié»
Claire Bidart, «L’amitié, un lien social»
Minou Azoulay, «Instants d’amitié»
Michèle Sarde et Arnaud Blin, «Le livre de l’amitié – Parce que c’était lui»
Le dossier de l’Express