LATITUDES

Compter le temps qui passe, mais comment?

Si nos ancêtres ont développé d’ingénieux moyens pour mesurer le temps, la recherche en la matière n’a cessé d’évoluer. Tour d’horizon de différentes méthodes, de leurs atouts et limites.


C’est au milieu du XXe siècle qu’une découverte marque une «véritable révolution dans l’histoire des sciences et de la mesure du temps», explique Grégory Gardinetti, expert et historien en horlogerie à la Fondation de la Haute Horlogerie et enseignant à la HEAD-Genève. Après les cadrans solaires, bougies graduées et autres clepsydres de l’Antiquité, le XIIIe siècle voit l’apparition d’horloges mécaniques. Un premier bouleversement, car l’invention permet de donner à chaque heure la même durée. Puis, dans les années 1960-1970, l’horloge électrique, à quartz notamment, fait avancer d’un grand pas la précision des mesures. Mais le cristal connaît ses limites. C’est dans cette foulée que l’heure atomique apparaît.

Précision de l’atome

L’unité de temps est alors définie par la fréquence du rayonnement électromagnétique émis par un atome – de césium 133 – lors du passage d’un niveau d’énergie à un autre. «Cette fréquence est extrêmement stable», explique Noël Dimarcq, directeur de recherche au CNRS et physicien métrologue au laboratoire SYRTE situé à l’Observatoire de Paris.

Cette découverte remet en cause les calculs des astronomes antiques: on réalise que la durée d’une révolution de la Terre autour du Soleil n’est pas régulière. Pire, la vitesse de rotation de la Terre sur elle-même ralentit, au point que l’International Earth Rotation and Reference System Service injecte, environ tous les 500 jours depuis 1972, une seconde «intercalaire». La dernière fut introduite le 31 décembre 2016, où, la seconde d’après 00:59:59, il était non pas 01:00:00, mais 00:59:60.

De petits modèles à venir?

Cependant, la montre atomique ne se trouvera pas demain au poignet de tout un chacun. La société britannique Hoptroff a lancé le premier spécimen en 2013. Elle la commercialise aujourd’hui, mais le mouvement reste marginal. «Le commun des mortels n’en a aucune utilité. Dans notre vie de tous les jours, à part peut-être dans le sport, nous n’utilisons déjà pas tellement la seconde», relève Grégory Gardinetti.

La miniaturisation des horloges atomiques fait cependant partie du champ de recherche du Laboratoire Temps-fréquence, à l’Institut de physique de l’Université de Neuchâtel. «Nous parvenons à faire des modèles compacts, avec du rubidium à la place du césium, tenus dans des petites cellules en verre d’un ou deux centimètres de taille, expose le chercheur Christoph Affolderbach. Ces modèles sont naturellement moins précis, mais une fois calibrés, ils peuvent servir de référence de fréquence.» De l’ordre de 2 à 3 litres de taille, ces spécimens sont prévus pour être embarqués à bord de satellites.

Des modèles encore plus petits se destinent à entrer dans la composition même de nos ordinateurs portables, téléphones et GPS. «Dans une grande ville où il y a peu de visibilité, ou à la montagne, nos récepteurs n’ont pas forcément accès à des satellites pour être synchronisés.»

Des systèmes de mesures alternatifs

D’autres méthodes de mesure de temps ont essaimé durant la fin du XXe siècle. L’heure Unix, par exemple, calcule le nombre de secondes écoulées depuis le 1er janvier 1970 jusqu’à l’événement à dater. Par exemple, le 13 mars 2017 à 20h52, il était 1489438322 en heure Unix. «Le temps Unix est utilisé par de nombreux systèmes informatiques basés sur la norme POSIX, tel Linux», avance Aurèle Aubert, de l’association SwissLinux. Ce temps spécifique n’est cependant pas utilisé directement par les humains et n’a jamais été pensé ainsi. Il est converti par le système dans un format facile à lire: calendrier grégorien et mode sexagésimal. Chaque système d’exploitation a d’ailleurs son langage propre, avec une norme temporelle sur laquelle il se base. «Il s’agit simplement d’un format plus facile à enregistrer en langage informatique.»

L’heure-internet, développée par l’horloger Swatch en 1998, participe d’une démarche un peu différente. Divisant la journée en 1000 «.beats», chaque .beat équivalant à 1 minute et 26,4 secondes, Swatch pensait abolir l’idée de fuseaux horaires pour les utilisateurs d’internet. Un créneau horaire unique se fixait sur le BMT (Biel Mean Time), le groupe horloger ayant son siège à Bienne. L’heure se note avec un arobase et le nombre de .beats situé entre 0 et 1000. Par exemple, 5h57 du matin se note @248.

«Il y a eu un effet d’annonce, relate Grégory Gardinetti. On se trouvait à l’époque du boom d’internet. Mais le système était tout sauf pratique, il fallait utiliser un appareil de conversion.» Une idée intéressante sur le fond, mais qui bouleversait «notre habitude du subconscient qui calcule en heures-minutes-secondes». L’historien rappelle qu’à la Révolution française un système décimal du temps avait été imposé en parallèle du nouveau calendrier. «C’était incompréhensible pour les gens, un casse-tête constant. Il fallait refaire tous les cadrans. La France était le seul pays au monde à utiliser ce système, cela a tenu moins de deux ans. Ne pas s’uniformiser fonctionne seulement si on vit en vase clos. Aujourd’hui, avec le commerce international, on est obligé d’avoir une base commune.»

Le temps du futur

La recherche dans le domaine semble inépuisable. Les scientifiques du XXIe siècle continuent à affiner la précision des mesures: les besoins de synchronisation des réseaux de télécommunications, des systèmes de transactions bancaires à haute fréquence, des réseaux distribués d’énergie deviennent chaque jour plus exigeants, relève Noël Dimarcq.

En 2015, l’Institut fédéral de métrologie et l’Institut de physique de l’Université de Neuchâtel ont fini de développer une fontaine à atomes continue. Jugée comme l’une des plus précises au monde, elle ne varie pas d’une seconde en 15 milliards d’années. «Déjà dans les années 1990, des techniques ont été mises au point pour refroidir les atomes et ainsi permettre leur ralentissement, pour une meilleure observation», explique Christoph Affolderbach. La fontaine à atomes permet d’exploiter ce ralentissement pour la métrologie, et ainsi de toujours mieux définir la seconde. «C’est dans le domaine optique que les horloges atomiques sont les plus précises, complète Noël Dimarcq. On utilise le faisceau lumineux du laser, qui génère une onde électromagnétique allant jusqu’à 1015 battements par seconde.» Un résultat qui donne le vertige. Quelles en sont les applications concrètes? En plus de permettre la synchronisation du temps au niveau mondial, l’application la plus connue repose dans les systèmes de positionnement par satellite (GPS).

Des signaux qui viennent d’horloges atomiques dans les satellites permettent de calculer le temps et la distance de propagation du signal jusqu’au sol et donc la position absolue par triangulation. L’erreur n’est pas permise: un écart d’un milliardième de seconde peut conduire à une différence de 30 cm au sol. «Pour une utilisation en voiture, une telle erreur n’a pas beaucoup d’impact. Pour calculer la hauteur du niveau des mers, ou étudier le mouvement des plaques tectoniques et les séismes, la précision devient essentielle», poursuit le physicien métrologue.

Toujours plus haut

Il est prévu qu’une horloge ultrastable soit installée sur la Station spatiale internationale en 2018. «Cela représente des retombées scientifiques potentielles fortes, s’enthousiasme Noël Dimarcq. Nous vivons un contexte très excitant où il reste encore beaucoup de choses à découvrir et à comprendre en physique.» Autre méthode de mesure, l’observation des pulsars. Cette étoile en fin de vie produit un signal lumineux allant de l’ordre de la milliseconde à quelques dizaines de secondes. «Le problème est qu’ils perdent de l’énergie, leur rotation se ralentit. Ils ne sont donc pas de très bonnes horloges, mais fonctionnent pendant des durées très longues.» Leur datation (sur une échelle de temps atomique très stable) permet par ailleurs d’étudier les phénomènes de perte d’énergie par ondes électromagnétiques et gravitationnelles, et ainsi de mieux comprendre et modéliser ces objets.

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Le compte à rebours: de la Nasa aux passages piétons

5, 4, 3, 2, 1… zéro! Le compte à rebours est aujourd’hui largement utilisé dans l’aérospatial, ou dans le sport, au début d’une course par exemple. Ce que l’on sait moins, c’est que ce concept a été inventé au cinéma. Alors qu’il tournait son film muet Frau im Mond dans les années 1920, le réalisateur allemand Fritz Lang l’introduisit avant la mise à feu de la fusée qui devait envoyer la première femme sur la Lune. L’effet sur les spectateurs a été tel que trente ans plus tard, la Nasa s’en est inspirée pour ses décollages.

Dans la gestion des flux urbains, de nombreuses villes du monde indiquent aux piétons le nombre de secondes restantes avant le passage au feu vert. Ce système permet d’assurer la sécurité des usagers les plus fragiles de la route, ainsi que de fluidifier la circulation, empêchant que des piétons ne restent sur la voie lors du départ des véhicules.

«En horlogerie, le compte à rebours ne constitue pas une complication très fréquente, expose Grégory Gardinetti, sauf dans les montres de régate.» Les départs des courses de voiliers se font effectivement en deux temps. Après un premier signal visuel (drapeaux), les équipiers ont cinq minutes pour atteindre une ligne de départ, sans la dépasser néanmoins, avec des exigences différentes en fonction des vents. La maison Rolex en propose par exemple un modèle. Le fabricant IWC a, quant à lui, développé une montre dont l’un des cadrans inclut les cycles de la Lune, comprenant un décompte avant chaque prochaine pleine lune.

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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 13).

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