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L’ironie de Dürrenmatt dans l’objectif de Sean Penn

C’est un roman policier suisse que Sean Penn a choisi pour sa troisième réalisation. «La Promesse» vient de sortir aux Etats-Unis. On l’a vu. C’est un film… prometteur.

Qu’est-ce qui pouvait pousser Sean Penn à explorer les écrits de Friedrich Dürrenmatt pour le script de son troisième film après «Indian Runner» en 1991 et «The Crossing Guard» en 1995. L’ironie? Le goût si prononcé de l’auteur suisse alémanique pour l’absurde beauté et la lourde insignifiance de la condidition humaine? Son art d’utiliser des histoires apparemment simples pour philosopher sur la relativité du destin et du hasard? Pour chacune de ces raisons sans doute.

Mais surtout, bien plus pragmatiquement, pour donner à Jack Nicholson, en passe de devenir son acteur fétiche et alter-ego à l’écran, un rôle à la mesure de son talent, à la hauteur de l’imaginaire sombre et obsessionnel de Penn, un rôle surtout de nature à gommer les erreurs de jeunesse de son film précédent «The Crossing Guard».

«D’habitude quand j’écris, je me base sur ma propre expérience. Jack Nicholson étant plus vieux que moi, c’était un coup de poker de créer un personnage comme celui de «The Crossing Guard» (celui d’un père cherchant à se venger de l’homicide de sa fillette par un chauffard sous l’emprise de l’alcool). Je ne pense pas que je le referais», expliquait récemment Sean Penn dans un interview au New York Times.

«Mais j’avais envie de retravailler avec Nicholson. Il n’arrêtait pas de lire des polars pendant le tournage, et je savais que je devais aller dans cette direction. J’ai demandé à mon partenaire, Martin Fitzgerald, de me trouver ça, et il est tombé sur ce livre.»

«Ce» livre c’est «The Pledge» («Das Versprechen», «La Promesse»): un roman policier psychologique de 1958 de Friedrich Dürrenmatt, adapté à l’écran par Jerzy Kromolowski et sa femme Mary Olson-Kromolowski. De l’oeuvre originale, ils n’ont retenu que la trame policière, la transposant de Suisse dans les plaines enneigées et désolées du Nevada (en réalité, le film a été tourné au Canada).

L’histoire est celle d’un officier de police sur le point de prendre sa retraite quand survient un crime monstrueux, le meurtre et le viol d’une fillette de huit ans. Incapable de décrocher, Jerry Black (interprété par Nicholson) ne peut s’empêcher de s’immiscer dans l’enquête, délaissant les invités de sa propre soirée d’adieu pour filer sur les lieux du crime. Malgré l’arrestation rapide d’un suspect, un Amérindien mentalement retardé, et ses aveux soutirés de manière insoutenable, Jerry refuse d’en rester là, convaincu que le crime est l’oeuvre d’un serial killer. Il n’aura de cesse de retrouver le coupable, mû de surcroît par la promesse («the pledge») faite à la mère de la fillette sauvagement violée et mutilée, au prix du «salut de son âme».

Dès lors, l’enquête policière se transformera imperceptiblement en étude de caractères. Et dans cet excercice, Sean Penn excelle, aidé par un casting extraordinaire qui réunit pour de brefs face à face avec Nicholson Vanessa Redgrave, superbe en grand-mère murée dans sa douleur, Helen Mirren en psychologue qui tendra à Jerry Black le miroir de sa propre folie, Sam Shepard en commissaire affligé par l’obsession maladive de son ex-collègue et surtout un surprenant Mickey Rourke, un peu oublié, quasi méconnaissable et sublime dans le monologue d’un père éploré par la disparition de sa fille.

Autant de scènes indépendantes les unes des autres qui servent à faire avancer l’enquête (très lentement) et à cerner la psychologie (ravagée) de Jerry. La fin, ironique, ambigüe et désespérée, comme savent l’être les pièces de Dürrenmatt, ne laisse place ni à l’espoir, ni à la rédemption si ardemment souhaitée.

Avec ce troisième film, qui ne sera certainement pas un succès de box-office, Sean Penn signe pourtant une oeuvre plus mûre que les précédentes, où il se révèle un directeur d’acteurs hors pair au goût prononcé pour les détails et les atmosphères. Sorti en salle ce week-end aux Etats-Unis, «The Pledge» ne fait pas l’unanimité de la critique, qui lui reproche sa morbidité, sa lenteur et un certain maniérisme. Les convaincus soulignent en revanche la poésie et le regard sans complaisance mais profondément humain porté sur des êtres ordinaires placés dans des situations extraordinaires.

En définitive, une oeuvre difficile, non conventionnelle qui porte la marque d’un grand cinéaste en devenir.

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«Das Versprechen» de Dürrenmatt a été adapté plusieurs fois à l’écran, sous le titre «Es geschah am hellichten Tag» («Ça s’est passé en plein jour»). La première version a été tournée en 1958 par Ladislao Vajda, avec notamment Gert Fröbe. En 1994, le réalisateur néerlandais Rudolf van den Berg en a signé une version anglophone («In The Cold Light Of The Day», avec Richard E. Grant), suivie par un téléfilm de Nico Hofmann en 1997.