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L’Europe voterait George W. Bush

Une victoire de Bush Jr à la présidentielle américaine pourrait donner un immense coup d’accélérateur à la construction européenne. Mais dans l’immédiat, ce serait une catastrophe pour le Vieux continent.

A moins deux semaines des élections américaines, le suspense se maintient. Il est pratiquement impossible de dire qui va l’emporter. George W. Bush conserve quelques points d’avance dans les sondages mais les marges de fluctuations sont telles qu’il peut fort bien se faire distancer dans la dernière ligne droite.

Pour nous Européens, une chose est certaine: si Bush gagne, les lignes de force de la politique européenne seront modifiées. Pour commencer parce que cet homme est inconnu de la plupart des dirigeants du Vieux continent.

Il est symptomatique qu’un homme comme Tony Blair, très proche de Clinton avec lequel il partage les grandes options sur la «troisième voie», n’ait jamais rencontré Bush. Le gouverneur du Texas avait certes planifié une tournée en Europe et en Asie au printemps dernier mais ses conseillers, inquiets de le voir accumuler les gaffes diplomatiques (Bush n’est sorti que très rarement des Etats-Unis), lui ont finalement recommandé de rester chez lui.

Cette méconnaissance de l’étranger serait cependant vite comblée par le staff présidentiel. Aux Etats-Unis, un président a beaucoup moins de poids que l’administration qui est derrière lui.

Cela dit, une victoire de Bush à la présidentielle risque de donner un immense coup d’accélérateur à la construction européenne. Samedi, les conseillers du gouverneur du Texas pour la Sécurité, Condoleezza Rice et Ari Fleischer, annonçaient chacun de leur côté que la présence militaire américaine en Europe serait modifiée si leur candidat l’emportait le 7 novembre.

Il reste encore 120’000 soldats américains sur le Vieux Continent. Pour Condoleezza Rice, les soldats américains déployés en Bosnie et au Kosovo seront rapidement retirés des Balkans en cas d’élection de Bush. Ils sont actuellement 11’400 sur les 65’000 que comptent les forces d’intervention onusiennes.

Selon Ari Fleischer, Bush utiliserait différemment les soldats américains en leur donnant pour mission de «combattre et de gagner des guerres». Sous-entendu: on ne leur demande pas d’être des policiers.

Sur le court terme, la perspective d’une arrivée au pouvoir de Bush serait, vu l’état des rapports de force, une catastrophe pour les Européens qui, malgré de fortes déclarations, ne sont pas encore capables d’assumer à eux seuls les missions de maintien de la paix, notamment dans les Balkans.

Il y a un mois à peine, l’Union européenne se fixait l’échéance 2003 pour arriver à mettre sur pied une force d’intervention commune, la Force de réaction rapide (FRR), qui devrait compter entre 60000 et 80000 hommes. Mais pour l’Europe, la question cruciale n’est pas tant de trouver les hommes (les engagements théoriques pris par les Etats sont déjà très encourageants) que de les transporter.

La FRR n’a pour le moment pas de gros avions de transport à disposition et dépend largement de l’aide américaine en ce domaine, même si des progrès réels ont été réalisés au cours de l’été. La France et l’Allemagne ont choisi l’avion de transport militaire européen Airbus A400M. Avec l’Italie et les Pays-Bas, elles viennent de commander plus de 350 exemplaires du NH90, l’hélicoptère de combat européen.

Mais à moyen terme, un tel retrait américain serait évidemment bénéfique pour l’Europe. Car il pousserait des gouvernements réticents à construire une armée européenne supranationale et à lui donner les moyens d’assurer le maintien de ce qui pourrait être une vraie politique commune.

Du coup, les tergiversations et petites querelles de préséances seraient gommées et l’Union européenne serait contrainte de se prendre en main face à une Amérique devenue non pas isolationniste, mais complètement préoccupée par ses grands centres d’intérêt géopolitiques, l’Asie et le Proche-Orient.

Ce que l’on ne sait pas, c’est ce que ferait notre cher Adolf Ogi au cas où il prendrait la place de Bernard Kouchner au Kosovo. Que deviendrait-il si, à peine entré en fonction, il en venait à se trouver sans troupes capables de maintenir l’ordre, à cause de la droite américaine?