LATITUDES

Les femmes éclipsent les hommes à Sydney

Les plus beaux événements, les plus fortes émotions de ces Jeux de l’an 2000 n’ont pas été le fait de sportifs, mais de sportives de tous horizons. Dont Mingxia Fu…

Ce sont des hommes qui ont organisé les Jeux de Sydney, mais jusqu’ici, ce sont des femmes, connues ou inconnues, qui y ont créé l’événement.

Au niveau du symbole, tout a commencé par la cérémonie d’ouverture qui devait aussi marquer le centième anniversaire de la participation féminine aux Jeux. Le public a d’abord ovationné Edith Payne, née Robinson, une Australienne de 95 ans qui avait concouru aux Olympiades d’Amsterdam en 1928.

Puis, six anciennes gloires du sport australien ont porté la torche pour un dernier tour de stade: Betty Cuthbert, Shirley Strickland, Raelene Boyle, Dawn Fraser, Shane Gould et Debbie Flintof-King.

Elles ont ensuite passé la flamme à l’incomparable Cathy Freeman, habitée par sa mission, qui a simplement mis le feu aux Jeux.

C’est à ce moment-là que les JO, cet événement autrefois réservé aux mâles en short (sur la piste), en costume, (dans les tribunes) ou en pantoufles (devant la télé), sont devenus une fête en l’honneur de la Femme.

Certes, l’égalité des sexes n’est pas encore réalisée, même si le défilé des athlètes a été le plus mixte de l’histoire olympique, avec seulement 12 délégations exclusivement masculines sur 200 (contre 26 sur 196 à Atlanta et 35 sur 169 à Barcelone).

Mais pour en finir avec les chiffres, précisons que les disciplines sont presque totalement féminisées: en 1976 à Montréal, les trois quarts des épreuves (149 sur 198) étaient réservées aux hommes. Cette années, les femmes concourent dans toutes les disciplines sauf deux: la lutte et la boxe.

Les femmes font événement partout à Sydney, même dans les compétitions d’haltérophilie. C’est ici, à Sydney, que la Colombie a remporté la toute première médaille d’or de son histoire, grâce à une haltérophile de 35 ans nommée Maria Isabel Urrutia.

C’est ici aussi que le Mozambique a gagné sa première médaille d’or, grâce à une championne des 800 m nommée Maria Mutola. Dimanche, la star s’appelait Elisabeta Lipa, une rameuse roumaine qui a remporté ici sa quatrième médaille d’or. Tout comme Mingxia Fu jeudi.

Mais surtout, il y a eu Cathy Freeman, vedette incontestable de ces compétitions. Lundi, après la finale du 400 m, elle nous a offert «le grand frisson, deuxième partie». Elle venait de gagner cette médaille d’or dont 19 millions d’Australiens, toutes races confondues, rêvaient depuis si longtemps. Elle voulait en profiter, alors elle a arrêté le temps, comme elle l’avait fait lors de la cérémonie d’ouverture.

Cathy a arrêté le temps quand elle a passé plusieurs longues minutes toute seule, assise sur la piste, hébétée, sans que personne n’ose l’approcher. Elle ne souriait pas, ses yeux étaient hagards et, dans sa combinaison intégrale, jaune, verte et grise, elle semblait sortir d’un vaisseau spatial, au beau milieu de ce stade olympique.

Puis Cathy a enlevé ses chaussures, tout en continuant à regarder le public avec un air incrédule, elle s’est levée et a commencé à marcher à pieds nus, très lentement. Enfin, elle s’est mise à sourire. Radieuse, elle s’est mise à danser, en tenant dans la main deux drapeaux, celui de son peuple aborigène et celui de son pays de naissance.

Vers la fin de son tour d’honneur, Cathy a vu sa mère dans la foule. Elle l’a embrassée, puis elle s’est mise à trottiner vers la ligne d’arrivée, la combinaison ouverte, décontractée comme si elle faisait un petit footing sur une plage de son Queensland natal, près de Mackay.

Elle a soudain remarqué que les concurrents du 400 m masculin, Michael Johnson en tête, attendaient qu’elle ait fini son tour d’honneur pour commencer leur course.

Alors Cathy a fait «chut» aux 112’000 spectateurs, et les Jeux ont pu continuer…

Les femmes sont partout à Sydney, et partout, ce sont elles qui font l’événement.

Au CIO, pourtant, il n’y a toujours que 12 femmes sur 113 membres.

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Paul Papazian, journaliste, est à Sydney où il couvre les JO pour divers médias, dont Largeur.com.