LATITUDES

Marie-Jo est sortie de piste pour mieux entrer en scène

Le bras d’honneur de l’athlète française apporte une dimension humaine bienvenue dans le monde béat de l’olympisme. Un ras-le-bol qu’a très bien compris l’envoyé spécial de Largeur.com à Sydney.

Le départ de Marie-José Pérec a secoué un peu la torpeur qui commençait à engourdir Sydney et rappelé aux journalistes qu’il y a toujours un monde réel en dehors de la bulle olympique.

Dans ce monde-là, il n’y a pas que des résultats sportifs et des jolies médailles pour récompenser les bons élèves, ceux qui ont bien travaillé et qui peuvent désormais servir d’exemple à l’Humanité toute entière, avec la bénédiction du tout-puissant Comité international olympique (CIO).

Dans ce monde-là, des gens déraillent, pour des raisons incompréhensibles au commun des mortels, et encore moins aux journalistes n’ayant pas fait une maîtrise de psychologie appliquée.

C’est vraisemblablement ce qui est arrivé à Pérec qui a toujours été le mauvais élève de l’athlétisme français et mondial. Un peu instable, star à ses heures, mais souvent exacte aux grands rendez-vous que lui fixait le calendrier sportif… jusqu’à ces Jeux de l’an 2000.

Ces Jeux de Sydney, encore plus que les précédents, veulent être parfaits, parce que c’est l’an 2000! Il fait beau tous les jours, tout est neuf, il y a des couleurs vives partout, et les Australiens sont archi-zen: ils sourient tout le temps, peuvent passer des heures à faire la queue, stoïques, pour acheter des milliers de billets d’entrée hors de prix ou des souvenirs olympiques à des prix tout aussi scandaleux.

Ce qui est sûr, c’est que Marie-Jo a dit merde à tout ce cirque, sans prendre de gants, et rien que pour ça elle doit être remerciée. Il n’y a plus beaucoup d’individus capables de claquer la porte quand ils en ont marre, surtout s’il y a des milliers de dollars à la clé. Elle a quitté, sans prévenir, ce monde parfait qui l’oppressait tant. Elle a refusé, pour des raisons que personne ne connaît, de faire, contre son gré, un dernier tour de piste, juste pour épater la galerie.

Il n’y aura donc pas de 400 m de rêve contre Cathy Freeman, la jeune femme aborigène bien sous tous rapports, unanimement adoptée par l’Australie parce qu’elle va ramener une médaille d’or au pays où elle est née.

Dommage, car c’était l’un des événements annoncés de ces Jeux. Mais dans le monde réel, à la différence du monde parfait de l’olympisme, tout ne se passe pas toujours comme prévu. «Mademoiselle la chicken», a titré vendredi matin le Daily Telegraph, un tabloïd australien pour qui Pérec la «poule mouillée», a eu peur de courir contre Freeman. Tout faux, parce qu’elle l’a déjà battue sept fois sur neuf, et possède quasiment une seconde de marge sur l’Australienne, même à court d’entraînement, selon les experts.

Beaucoup plus drôle, la légende d’une photo de Pérec dans un aéroport non-identifié, en Une du Sydney Morning Herald: «Les arrivées et les départs ont toujours été l’un des points forts de Pérec.» Bien vu, car Pérec a tout d’une artiste, qui met un point d’honneur à soigner ses entrées et ses sorties.

Celle-ci est particulièrement réussie, il y a tout: la montée en régime progressive, le départ en pleine nuit, le caméraman intrépide qui se fait
casser la gueule à l’aéroport de Singapour au petit matin, par le copain de Marie-Jo, mais prend soin de la laisser tourner pour tout enregistrer, il y a aussi les 11 heures dans un commissariat de Singapour, l’ambassadeur de France qui vient la libérer et l’emmène illico à l’aéroport, pour qu’elle parte au plus vite.

Il y a là tous les ingrédients du soap opera haut de gamme, et même le côté famille absolument indispensable. Il ne faut quand même pas oublier que Sydney est actuellement la résidence de vacances de la «grande famille olympique», un gigantesque Club Med où tout le monde est bronzé, cool et décontracté, oublie ses soucis pour se concentrer sur les futilités du jour: qui a remporté le tir à l’arc, qui a tiré le plus loin, qui va nager avec qui, quand est-ce qu’on mange, etc.

Marie-Jo venait de passer plusieurs mois en Allemagne de l’Est à travailler comme une folle, dans un environnement très différent de sa Guadeloupe natale, pour revenir au plus haut niveau dans son sport. Elle est arrivée au milieu de cette réunion familiale comme un cheveu sur la soupe, parce que tout le monde l’avait perdue de vue depuis trois ans, à cause de sa grosse fatigue due à un virus d’Epstein-Barr. Elle avait vécu pendant trois ans comme quelqu’un de quasiment normal, très loin du Barnum de l’athlétisme mondial, et passé plus de temps avec des docteurs qu’avec des sprinters et des sauteurs.

Le contraste était trop fort, Marie-Jo n’a pas supporté. Il y avait trop de gens avec des sourires béats dans cette réunion de famille, et trop de cousins qu’elle ne connaissait pas qui voulaient la prendre en photo. Les photos de famille, ça va un moment, mais au bout d’un moment, on en a marre de poser. Alors Marie-Jo s’est barrée, en faisant un gigantesque bras d’honneur à tout le monde. Elle a soigné la manière, pour assurer instantanément sa reconversion. De toute façon, sa carrière sportive était terminée depuis trois ans. Chapeau Marie-Jo, et bonne chance dans le show-business!