Le chef de l’Etat français est mis en cause par les révélations posthumes du trésorier de son parti, le RPR. Gérard Delaloye s’étonne d’avoir appris le dernier épisode de cette saga affairiste dans «Le Monde».
Avec la confession de Jean-Claude Méry publiée par Le Monde, c’est le pire gaullisme, celui des sales coups, qui soudain fait remonter à la une de l’actu des remugles de cloaques dont le parti du Général n’a jamais vraiment réussi à se débarrasser.
Comme si d’être né en mai 1958 d’une farce politique hésitant entre le putsch et le pronunciamiento avait définitivement marqué ce parti de la droite affairiste et bonapartiste, heureusement doté d’un chef le dominant de sa haute stature historique. On ne compte plus les affaires sordides auxquelles furent mêlés les gaullistes. Cela commença dès 1960 par les barbouzeries anti-OAS chères à Pasqua, puis par la retentissante affaire Ben Barka vers 1965, la mort violente de quelques ministres anciens ou nouveaux, des trahisons politiques (Chirac se dressant contre Giscard), des tueries politico-crapuleuses comme celle d’Auriol au début des années 80 et enfin les affaires de la mairie de Paris. La liste n’est pas exhaustive.
Mais au risque de choquer le lecteur, je dirais que tout cela est connu et documenté depuis longtemps et que ce qui est surprenant, c’est surtout qu’un gaulliste, Jacques Chirac, se trouve encore à la présidence de la République. Sans surprise, le bougre a démenti les accusations: « Il s’agit d’une histoire abracadabrantesque», déclarait-il jeudi soir sur France 3 dans un français original.
Pourtant, cela fait au moins dix ans que l’on parle des affaires de la mairie de Paris et des modes de financement fort peu catholiques utilisés par Chirac et ses amis (dont l’illustre Tiberi) pour alimenter les caisses du RPR. Depuis des années, le Canard Enchaîné se fait une spécialité de tenir à jour un feuilleton dont les rebondissements semblent interminables. Parce que contrairement aux sociétés nordiques et anglo-saxonnes, la France (comme l’Italie d’ailleurs) n’est pas capable de condamner moralement la corruption politique.
En Allemagne, Helmut Kohl traverse depuis des mois un purgatoire que jamais un homme politique français n’a connu. Regardez les Bernard Tapie et autres Michel Noir, ils tirent leur peine de prison et réapparaissent en jouant de la corde sensible du bon peuple sans craindre de faire – au sens propre! – du théâtre, réduisant ainsi l’activité politique à un jeu de saltimbanque. Et cela passe!
Les révélations du Monde posent tout de même quelques questions. Pour ma part, je trouve singulier que ce journal prenne tout à coup la place du Canard Enchaîné pour diffuser quelques épisodes inédits de la saga de la mairie de Paris. Je trouve encore plus singulier que ce journal publie – tout en prenant les précautions d’usage, mais on sait ce que signifient ces tartuferies – un document enregistré sur bande vidéo sans que la valeur et l’intégrité de cette bande soit confirmée par qui que ce soit d’autre que son propre auteur. Pour le fleuron de la presse française, la pratique est curieuse et plus curieuse encore doit être la réaction de Sirius, son fondateur, qui surveille tout cela depuis une constellation lointaine.
Cela nous amène à nous demander à qui cette opération profite. Et quand, tous comptes faits, on doit admettre que le premier bénéficiaire de ces révélations est le successeur de Chirac à la mairie de Paris, l’illustre Tiberi, qui depuis des semaines annonce sa volonté de se venger de l’ingratitude de ses amis politiques, on ne peut s’empêcher de ressentir un léger malaise. Que des gaullistes d’aussi bas étage règlent leurs comptes, passe encore! Mais que Le Monde se prête à ce jeu me semble hélas de mauvais augure pour l’avenir de ce quotidien.
D’aucuns voudront plutôt voir la patte des socialistes derrière cette affaire, des socialistes désireux d’amortir le choc de la chute de Jospin dans les sondages. Deux arguments militent contre cette hypothèse. Ce serait utiliser une bien grosse artillerie pour une mauvaise passe sondagière des plus provisoires. Les haines internes au camp chiraquien sont elles suffisamment vives pour justifier un tel coup bas, surtout si l’on pense que l’élection à la mairie de Paris, première clé de la présidentielle, aura lieu dans six mois.