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Quand des caricaturistes suisses redonnent le sourire à des réfugiés

Nous avons suivi Barrigue, Pitch et Sjöstedt en Israël et Palestine pendant une semaine. Leur but? Echanger avec les plus faibles au travers du dessin.

«Les écoliers, les familles, les étudiants que nous rencontrons ont tous besoin d’être entendus. Nous essayons autant que possible d’être à leur écoute et de leur transmettre nos dessins.» Avec ses confrères romands, Barrigue et Sjöstedt, le caricaturiste Pitch a rencontré, durant une semaine, des demandeurs d’asile en Israël ainsi que des réfugiés palestiniens dans les territoires occupés. Le trio a aussi profité de l’occasion pour échanger avec des artistes et des caricaturistes de la région (lire l’encadré ci-dessous).

Pourquoi organiser un tel voyage? «Il s’agit d’une démarche individuelle entamée en Grèce en 2016 au camp de Cherso», explique Barrigue, fondateur du journal satirique suisse «Vigousse». Lassé de voir les flux de migrants décrits comme une masse informe dans les médias, le caricaturiste décide d’aller à leur rencontre avec Pitch. «Nous voulions donner des noms, des visages à ces êtres humains et les transmettre au grand public, pour que les gens n’aient plus d’excuses et regardent la réalité en face.»

Echanger autour du dessin constitue la principale motivation des dessinateurs. Concrètement, Pitch et Barrigue partagent un moment avec les migrants, réalisent des caricatures qu’ils leur donnent. Ils gardent une trace de ces portraits grâce aux photos et vidéos prises par Sjöstedt.

Encouragés par leur expérience grecque où ils ont entendu que leur «enthousiasme faisait du bien», les trois dessinateurs ont réitéré l’expérience en Palestine et Israël. Les représentations suisses dans la région, la DDC ainsi que l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNWRA) les ont aidé à organiser les visites.

Larmes silencieuses et éclats de rire

Les caricaturistes ont d’abord fait la connaissance de réfugiés et de demandeurs d’asile en Israël. Pour rappel, il y a 45,000 requérants, dont 8’500 Soudanais et 33’000 Erythréens, selon des chiffres publiés par Amnesty International Israel en 2015. Ils sont pour la plupart entrés illégalement via le Sinaï égyptien et ne se voient attribuer des statuts de réfugiés qu’au compte-gouttes.

Dans ce cadre, les dessinateurs ont pu se rendre dans le centre de détention pour requérants d’asile d’Holot, situé dans le désert du Néguev. Ils y ont entendu des récits de voyages périlleux, marqués par la torture et les enlèvements subis dans le Sinaï égyptien. «Ils nous ont raconté leurs tragédies, mais aussi l’incompréhension de devoir rester dans ce centre pendant une année, explique Pitch. C’était dur. Il n’est pas facile de retourner à son hôtel et à sa petite vie après cela.»

A Tel Aviv, le trio est aussi allé sur la Place Lewinsky, lieu de rencontre des migrants arrivés de la Corne de l’Afrique, ainsi que dans un atelier d’insertion. Les femmes érythréennes y travaillent sur des métiers à tisser, tout en recevant un soutien psychologique et social. «Nous avons vu couler des larmes silencieuses sur leur joue», raconte Pitch. Mais même dans ces situations tragiques, les caricaturistes essayent de redonner le sourire à travers le dessin. «Nous avons fini par réaliser les caricatures de trois femmes. Et la récompense a été à la hauteur de nos attentes puisque que nous avons réussi à obtenir plusieurs éclats de rires.»

Les autres étapes de leur périple les ont menées en Cisjordanie et à Gaza, dans les camps de réfugiés ouverts pour accueillir les familles palestiniennes ayant fui leurs maisons durant la guerre israélo-arabe de 1948. Ces abris de fortune sont devenus des petites villes, où l’éducation, la santé et les programmes sociaux sont gérés par UNRWA. Ils se sont notamment rendus dans le camp d’Aida à Bethléem, comptant environ 6’000 résidents, et à celui d’Arroub, proche d’Hébron, qui abrite plus de 10’000 personnes.

La liberté par l’aquarelle

A Gaza, les trois détenteurs d’une carte de presse ont pu contourner le blocus qui isole la bande de terre depuis juin 2007. Ils y ont rencontré des réfugiés du camp de Al-Shati, aussi appelé Beach camp. Ce qui les a le plus frappé: l’insalubrité — des trous dans le toit des maisons, une chambre pour sept, des rats — , mais aussi le manque de perspective de ses habitants. «Nous avons rencontré un homme qui ne pouvait pas travailler à cause des blessures dues à des éclats d’obus, évoque Pitch. Ça m’a assommé.»

Jouer le «boss» et se faire littéralement cirer les pompes par ses deux acolytes, tenter de parler dans une langue inconnue censée être la langue de l’interlocuteur: Barrigue sait faire le guignol. Il tente d’avoir toujours le bon mot ou la bonne pirouette pour détendre l’atmosphère. «J’ai fait de la scène et même si j’ai 65 ans, j’ai l’impression d’en avoir 22. Donc, je me jette à l’eau, je me laisse porter d’émotion en émotion.»

Intéresser les adolescents constituait néanmoins le grand défi du Vaudois. «C’est toujours un challenge de garder leur attention, explique-t-il. Nous sommes allés dans plusieurs écoles, à Tel Aviv et à Gaza. Dans ces classes comptant parfois 80 enfants, impossible de faire des dessins personnalisés, sinon nous allions faire des jaloux.» Le dessinateur et ses compères ont finalement décidé de leur enseigner les rudiments de la caricature et de l’aquarelle. «Pour moi l’aquarelle symbolise la liberté et la mixité. C’est le coup de poignet et le pinceau qui se balade librement sur la feuille, mais aussi le mélange des couleurs. Ce fut une rencontre vivifiante et formidable.»

Sjöstedt, qui se charge de documenter cette expérience en images, réfléchit encore à la forme que pourra prendre le récit. «C’est une action spontanée qui se transforme à chaque voyage. Ce qui est sûr, c’est que nous ne voulons pas faire un film sur nous, mais faire passer le message plus loin.» Les situations sont complexes, c’est un véritable puzzle, reconnait l’équipe qui veut trouver le meilleur moyen de mettre en valeur les récits de ces individus: ces «perles» qu’on a bien voulu leur donner.
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ENCADRES

«La caricature en Palestine, c’est comme marcher entre les gouttes de la pluie»

Les caricaturistes de «Vigousse» ont rencontré quatre confrères palestiniens lors d’une table-ronde publique à Ramallah le 24 mars, organisée avec l’aide de la Représentation suisse à Ramallah. Mohammed Sabaaneh, Osama Nazzal et Khalil Abu Arafeh, ont expliqué comment ils ont placé leur crayon au service de la cause palestinienne.

Khalil Abu Arafeh, qui publie ses dessins dans le quotidien arabe de Jérusalem, Al-Quds, évoque la liberté d’expression dans son pays. «Quand j’ai commencé à travailler, mes dessins étaient contrôlés par Israël. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais mon journal pratique encore une forme d’autocensure pour ne fâcher ni l’Autorité palestinienne, ni le contrôleur israélien, ni le Hamas», détaille le dessinateur. Avant d’ajouter: «Mon travail est très précis. C’est comme marcher entre les gouttes de la pluie.» Et à Barrigue de brandir un crayon en clamant: «Ceci est la liberté critique. Et le pouvoir, quel qu’il soit, ne peut le supporter.»

Ramzy Al Taweel confie quant à lui être venu au dessin pour impressionner une femme. Ces œuvres, d’apparences plus légères et proches du comic strip, ont pour but de faire rire tout en évoquant des sujets de la vie quotidienne. Il montre notamment à l’audience celles consacrées à la place de la femme dans la société, traitant de la pratique de la dot ou de la question des mariages précoces.

Après avoir évoqué les difficultés économiques de la presse qui complique également leur travail en Europe comme au Proche-Orient, les dessinateurs se sont échangés des portraits gribouillés sur un coin de table pendant la rencontre.
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Trois joyeux lurons dans la galaxie «Vigousse»

Barrigue, né en 1950 à Neuilly-sur-Seine en France, est le fils du dessinateur français Piem. Durant les années 1970, il travaille comme journaliste et dessinateur pour différents titres dont «Rock and Folk», «Le Point», «Le Matin de Paris» ou encore «France Soir».

Installé en Suisse romande, il publie, de 1979 à 2008, ses caricatures dans «La Tribune de Lausanne», devenue «Le Matin». Il participe également à diverses émissions de la RTS, dont «Le fond de la corbeille». En 2009, il lance finalement son propre journal satirique: «Vigousse».

Pitch, né en 1970, a passé son enfance à Courgenay (JU). Après une formation artistique à l’Académie de Meuron à Neuchâtel, il se perfectionne à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris et à l’Institut supérieur de peinture Van der Kelen à Bruxelles. Durant les élections jurassiennes de 2006, il se lance dans le dessin de presse sous le pseudonyme de Super Elector.

Il travaille désormais comme dessinateur de presse au «Quotidien Jurassien» et à «Vigousse», tout en réalisant des bande-dessinées.

Le Neuchâtelois Sjöstedt est un touche-à-tout. Dessinateur chez «Vigousse», il est aussi graphiste au Musée d’ethnographie de Neuchâtel, créateur de story-boards pour le cinéma et auteur de bande-dessinées.

Réalisateur à ses heures perdues, il a remporté au Festival de Courgemétrage le prix du jury pour son film «Penoche».

Les dessinateurs ont publié le 5 mai dans la revue Vigousse un reportage illustré sur leur visite en Israël et Palestine.