LATITUDES

USM, des combinaisons spatiales infinies

Après avoir conquis le monde professionnel, les fameux meubles suisses aux structures chromées s’insinuent jusque dans les chambres à coucher. Portrait d’un fabricant qui a rendu le modulaire populaire.

Lors d’un récent séminaire dédié à la modularité, de jeunes designers ont comparé les meubles USM Haller aux chromosomes et aux possibilités infinies du logiciel libre. Ils ont parlé de combinaisons, de croisements, de développements participatifs… Le fabricant avait organisé cette rencontre pour célébrer les 50 ans de son produit phare. «L’idée était d’explorer un registre plus émotionnel, explique Michèle Rossier, directrice du magasin Teo Jakob de Genève. De nouveaux produits ont été lancés, comme les cloisons de séparation ou des boîtes géniales destinées au rangement. La marque se diversifie avec des matériaux inédits et développe des collaborations avec les hautes écoles de design comme la HEAD et l’ECAL. Elle se profile dans de nouvelles dimensions.»

Jusqu’ici, le fabricant bernois était surtout connu pour ses meubles modulaires, que l’on retrouve dans tous les bureaux. Ses structures en acier chromé ont d’abord occupé les études d’avocats avant de contaminer l’ensemble du monde économique, contribuant ainsi à l’uniformisation des espaces de travail. Au point de faire ressembler les cliniques dentaires à des banques.

Cette dissémination à grande échelle du style USM n’est pas due au conformisme de la clientèle corporate puisqu’il est adopté même par les designers les plus pointus. Elle n’est pas davantage liée à un effet de mode: les meubles conçus à Münsingen (BE) ont survécu aux mouvements hippie, punk et postmoderne et n’ont jamais été vraiment démodés. Ils se sont même infiltrés dans les intérieurs domestiques. D’abord dans les villas zurichoises à baie vitrée, entre vases à orchidées et écrans plats, puis dans les chambres soigneusement désordonnées des hipsters. Aujourd’hui, ils peuvent servir de table de nuit cosy, de bac à jouets pour enfants, voire de plan de travail dans les cuisines distinguées. Un exemple supplémentaire de l’affaissement des cloisons qui séparaient vie professionnelle et privée: le même mobilier USM est utilisé partout.

Des constructions métalliques aux étagères

Cette efficacité dans la conquête de nouveaux territoires donne l’impression que le système USM a été programmé pour envahir la planète. Avec raison: leur co-inventeur, l’architecte soleurois Fritz Haller, rêvait de développer une structure modulaire universelle permettant de construire bâtiments, quartiers, villes et, pourquoi pas, des colonies spatiales…

Sa grande aventure commence en 1961 quand il est contacté par Paul Schärer, petit-fils du fondateur d’une quincaillerie nommée USM, pour construire une nouvelle usine. Une occasion unique de concrétiser son rêve: l’architecte invente un principe de bâtiments modulaires standardisés en acier qui pourront être multipliés et accompagner la croissance de l’entreprise.

La construction est un succès. «Grâce à ce principe (de modularité, ndlr), nos halles de production ont pu être agrandies au cours des ans, explique Sandra Schär, porte-parole du groupe. Et c’est ce même principe qui a inspiré le système de meubles que Paul Schärer et Fritz Haller ont développé par la suite pour leur propre usage. Ils sont simplement passés de l’échelle macro à l’échelle micro.» Les premiers meubles modulaires font leur apparition en 1963 dans le bâtiment administratif.

Spécialisée dans les constructions métalliques, la PME bernoise n’avait pas prévu de devenir fabricant d’étagères. Mais en 1969, la finesse de son mobilier interne frappe une délégation de la banque Rothschild de passage à Münsingen. La banque passe aussitôt commande pour ses propres locaux et le destin d’USM en est bouleversé. Son mobilier part à la conquête du monde.

«Rétro-compatibilité»

Ses atouts: un nombre de composants réduit au minimum, des éléments aussi élégants de face que de dos, une structure euclidienne pouvant être recombinée à l’infini… et surtout cette modularité inscrite au cœur même du concept. Avec le système USM, une juxtaposition de deux caissons n’implique pas un doublement des parois, à la différence des meubles modulaires développés précédemment par Le Corbusier par exemple.

Les professionnels du mobilier sont fascinés par cette élégance des structures. «Je ne connais pas un seul designer qui n’ait pas entendu parler d’USM, dit Pierre Keller, ancien directeur de l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL). L’influence de l’entreprise dans le monde du design est immense. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de faire la connaissance de Paul Schärer dans leur showroom de New York en 2007. C’est là que nous avons conclu un contrat pour l’équipement des nouveaux locaux de l’ECAL à Renens. Tous les bureaux ainsi que la bibliothèque de l’école sont aujourd’hui dotés de meubles USM.»

Dans un secteur de plus en plus sensible aux enjeux environnementaux, USM dispose d’un argument de poids pour élargir sa clientèle: la durabilité. Même s’ils consomment énormément d’énergie pour leur production, ses tubes en acier chromé, sphères de laiton et parois de tôle pulvérisée traversent les générations sans s’altérer. «Et chaque nouvel élément USM Haller que nous lançons peut être intégré dans les structures existantes, même si elles ont été acquises il y a plusieurs décennies, précise Sandra Schär. Nous appelons cela la rétro-compatibilité.»

L’architecte irlandais Robert Trench connaît bien ce principe. Au début de sa carrière, il s’était offert un caisson USM en guise de table de nuit. Il l’a complété au cours des années pour en faire une étagère, puis une bibliothèque, qui constitue aujourd’hui le plus grand meuble de sa maison. «C’est l’un des plus beaux objets de design au monde, a-t-il déclaré au journal Irish Times. Il m’a inspiré pour une large part de mon travail.»
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CHRONOLOGIE

1885
Ulrich Schärer ouvre une quincaillerie à Münsingen (BE).

1945
Ulrich Schärer Münsingen (USM) se diversifie dans la construction métallique.

1961
USM mandate l’architecte Fritz Haller pour construire une usine modulaire.

1963
Fritz Haller étend le principe de modularité au mobilier de l’usine.

1969
La banque Rothschild s’enthousiasme pour le mobilier interne d’USM.

1988
La Haute cour de Francfort reconnaît la propriété intellectuelle du système.

1993
L’arrière-petit-fils, Alexander Schärer, formé à l’EPFL, prend les commandes.

2001
Entrée d’USM dans la collection permanente du MoMA.

2015
Lancement des cloisons USM Privacy Panels, conçues par Atelier Oï.
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Une version de cet article est parue dans le magazine FLAT (no 1).

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