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La poupée de Blocher

Le jeune loup néo-libéral Thomas Aeschi, en position désormais de favori à la succession d’Eveline Widmer-Schlumpf, déclenche contre lui des attaques nourries. Il faut dire que la cible est alléchante.

Dernier arrivé, premier servi. Qu’un jeune économiste zougois de 36 ans, à peu près inconnu, soit en position de coiffer tout le monde au poteau pour la succession d’Eveline Widmer-Schlumpf, voilà qui énerve, agace et consterne.

En Suisse romande, on veut croire que Thomas Aeschi, caricaturalement jeune, caricaturalement néo-libéral, et caricaturalement zougois, rebutera suffisamment de monde pour que l’Assemblée fédérale finisse par tomber dans les bras rassurants du bon papa Parmelin.

En Suisse-allemande, on se focalise plutôt sur un angle précis d’attaque. Aeschi se fait joyeusement traiter à longueur de journées, et surtout de soirées, de «Sockenpuppe», poupée-chaussette, autrement dit marionnette. De Blocher bien sûr, l’ «Übervater» manipulateur.

Elire Aeschi ce serait donc tout simplement élire Blocher. Ou du moins, selon le politologue Mark Balsiger, «faire revenir Blocher dans l’antichambre du pouvoir. Au moins». La socialiste zurichoise Jacqueline Badran assure de son côté avoir entendu des «dizaines de fois» Blocher chanter devant elle les louanges du petit saint Thomas. Lequel, élu au Conseil fédéral, y passerait ses journées «à téléphoner à Stöffeli», autrement dit son cher vieux mentor.

C’est à tel point que la gauche zurichoise a choisi le parti d’en rire. Cédric Wermuth propose d’élire directement le rusé marionnettiste plutôt que sa ridicule petite poupée-chaussette. Du coup, comme le prévoient les statuts de l’UDC depuis le psychodrame de 2008, Blocher aurait à choisir entre refuser son élection, ou l’accepter et se retrouver illico exclu de l’UDC puisque ne figurant pas sur le ticket officiel. Désopilant en effet.

Reste que pour une poupée-chaussette, Aeschi court vite. Président de le section UDC de Baar en 2009, député zougois en 2010, conseiller national en 2011. Ca, c’est pour la politique. Sinon, jusqu’en 2008, donc à l’âge de 27 ans, le bonhomme n’a guère fait que deux choses: l’étudiant et le militaire. Avec à la clef des diplômes de St-Gall et d’Harvard, en économie et administration publique, et un grade de Premier-Lieutenant.

Depuis, tout de même, il travaille. Un peu. Selon ses propres explications, comme «consultant en stratégie pour une entreprise internationale de conseil renommée». Un tâche qu’on imagine volontiers éreintante, même si son mandat est de 35%.
Cette maigre expérience professionnelle vaut pourtant déjà à Aeschi quelques ennuis. Spécialisée dans le conseil aux gouvernements, la société qui l’emploie — Booz & Company, devenue PwC Strategy& — , a beaucoup travaillé pour la fameuse agence de renseignements américaine NSA.

Hauts cris immédiats des nombreux américanophobes et doux paranoïaques que compte le microcosme politique suisse. L’indignation n’aurait pas été plus grande si l’on avait découvert qu’Aeschi émargeait comme aide-comptable auprès de l’Etat Islamique.

On le dit, à part ça, polyglotte et ouvert au monde — n’a-t-il pas étudié aux Etats-Unis mais aussi en Israël et en Malaisie? Sauf que de cette ouverture, il a ramené surtout un discours de fermeture. «Plus j’ai voyagé, plus j’ai constaté à quel point la Suisse se porte bien.»

Cette conviction que la Suisse était un diamant rare à protéger contre les vicissitudes du monde, il l’a d’ailleurs compris très tôt, sans sortir de chez lui. «Lors de la votation sur l’EEE, en 1992, j’ai senti qu’il s’agissait d’une question très importante, liée à l’indépendance et à l’avenir de notre pays». Thomas Aeschi alors était âgé de 13 ans.

Aujourd’hui d’ailleurs le défaut principal et majeur qu’il trouve à cette sphère politique qu’il est en train d’investir à la hussarde, c’est que «tout prend trop de temps».

C’est vrai ça, six ans pour passer de politicien de village à conseiller fédéral, cela peut sembler une éternité. Quand on a la mentalité de Buzz l’Eclair. Qui lui aussi était persuadé de n’être pas un jouet.